1902
- Canotiers et Casques à Pointe
Canzone
française – Canotiers et Casques à Pointe – 1902 – Marco
Valdo M.I. – 2011
Histoires
d'Allemagne 3
An
de Grass : 2
Au
travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle »
(Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition
française au Seuil à Paris en 1999 également)et de ses traducteurs
français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Il
y a deux ans, c'était durant l'été à Pékin qu'eut lieu la Guerre
des Boxeurs qui engendra de grands massacres. L'armée, réduite en
cela à un corps expéditionnaire se distingua par son implacabilité
et en profita pour essayer les effets – grandeur nature – du
canon à tir rapide de 55 mm de Krupp (Essen). Le siècle démarrait
dans un bain de sang chinois. Mais comme tu vas le voir, mon ami
Lucien l'âne et comme tu le sais peut-être déjà, ou comme tu le
subodores ou le supposes ou l'imagines, l'Empereur d'Allemagne, qui
s'appelait – te l'ai-je dit – Wilhelm Deux, plus communément en
français – Guillaume Deux, avait un tempérament très pacifique
et avait bien intégré ses leçons de latin : Si vis pacem, para
bellum – Si tu veux la paix, prépare la guerre.
J'ai
déjà souvent entendu cette sentence, elle n'a jamais rien présagé
de bon. Tous ceux qui s'en réclamaient finissaient tôt ou tard par
accomplir la guerre qu'en bons pacifistes, ils préparaient
méticuleusement.
Disons
pour parler militaire : préparer la guerre « dans l'ordre et la
discipline ». C'est exactement ce que fit Guillaume Deux en cette
année 1902. Il passa des aventures lointaines et meurtrières à la
préparation d'aventures à venir devant sa porte. Pour cela, il
avait besoin de beaucoup de monde, comme il se révélera quelques
temps plus tard. Il s'agissait de préparer le peuple allemand – un
peuple récent en ces temps-là, qui sortait à peine des mains du
chancelier créateur Bismarck – Otto Eduard Leopold von
Bismarck-Schönhausen, Premier Chancelier d'Allemagne – Premier
Chancelier Impérial. Il s'agissait aussi de le former, c'est-à-dire
de lui donner forme et consistance, puis de le durcir. Mais, comme je
te l'ai dit, les mouvements de l'histoire sont assez lents et ce
n'est que douze ans plus tard que l'Empereur ordonna donc la
mobilisation générale. On en était encore au début de la mise au
pas de ce nouveau peuple, de cette nouvelle nation, née après la
guerre de 1870. On passait ainsi de la Prusse à l'Allemagne. Autre
élément qui indique qu'il s'agit bien des débuts de l'Empire,
c'est cette histoire de timbre-poste à l'effigie de Germania, dotée
d'attributs propres à susciter d'héroïques passions.
C'est
effectivement un tournant dans l'histoire de l'Europe et sans doute,
un des événements majeurs de cette histoire. Mais en quoi cela
intéresse-t-il les Chansons contre la Guerre ?
Il
y a une foule de bonnes raisons à avancer à ce sujet, mais
l'essentiel de cette canzone est de montrer l'inconscience de ces
jeunes gens qui glissaient ainsi vers la guerre et une des plus
grandes boucheries de tous les temps comme s'il s'agissait de changer
de chapeau et comme ils disent dans la canzone : « On troqua nos
canotiers bouton d'or contre des casques à pointe ». Je te rappelle
cependant que la chanson se situe douze ans avant que commence le
grand massacre, qu'elle annonce, qu'elle anticipe. Il s'agit de vivre
l'histoire des canotiers.
Étrange,
en effet, cette inconscience... Comme quoi, il est utile et important
de maintenir et de développer le message contre la guerre, mais
aussi contre la constitution de grandes machineries militaires...
Je
voudrais quand même préciser ceci, mon ami Lucien l'âne, pour toi
et sans doute aussi pour ceux qui vont nous lire. Il s'agit bien ici
de raconter un siècle d'histoires d'Allemagne et non de faire
l'Histoire de l'Allemagne; il s'agit encore moins de faire un
réquisitoire contre tous les gens d'Allemagne. On peut d'ailleurs
augurer que ce qui est décrit ici pour l'Allemagne, cette
effervescence nationale se retrouve dans les autres États-Nations
d'Europe et d'ailleurs et qu'elle y a les mêmes effets. Ce qu'il
importe de percevoir et de comprendre, c'est combien une telle
effervescence est perverse et en finale, meurtrière. Et comment elle
a permis de manipuler les hommes pour que quelques temps plus tard,
ils se lancent avec témérité et inconscience contre les voisins –
avec la fameuse « fleur au fusil ».
D'accord,
mais cette histoire de chapeaux, d'échange de chapeaux... Qui aurait
dit que ce bouton d'or se muant en casque à pointe, quelques années
plus tard, allait produire Verdun, la Somme, l'Isonzo, la Piave et
tant d'autres grandes tueries...
On
le dira encore souvent ici, comme le disait à la Barbara de Brest,
Jacques Prévert : Quelle connerie la guerre ! Aujourd'hui comme
hier, il est impératif de s'atteler à tisser, envers et contre
tout, le linceul de ce vieux monde pervers, guerrier, inconscient et
cacochyme.
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
Le
Zeppelin nous laissait la tête penchée
En
arrière, enthousiastes et bouche bée
Tous
au lycée, on acheta un chapeau de paille jaune doré ;
Un
chapeau dit : scie circulaire ou canotier.
Je
le posai à côté des Buddenbrooks, un fameux livre.
La
Reichspost éditait les premiers timbres
Valables
pour tout l'Empire
Les
seins cuirassés, raide, sans sourire.
Germania
(une grosse poitrine) s'y montrait de profil
Elle
annonçait le progrès et la téléphonie sans fil
Et
tout un remue-ménage futur, douze ans plus tard
Quand
par centaines de milliers, elle nous appela dans les gares.
Un
gendarme en pleine rue, tambour de ville, faisait grosse impression ;
Il
proclamait – au nom de sa Majesté Guillaume – la mobilisation.
Fameux
changement de décor.
On
troqua nos canotiers bouton d'or
Contre
des casques à pointe.
On
partit la fleur au fusil, sans crainte.
En
quelques dizaines d'heures,
On
sera vainqueurs !