1900 - L'Été
à Pékin
Canzone
française – L'Été à Pékin – 1900 – Marco Valdo M.I. –
2010
Histoires
d'Allemagne 1
An
de Grass : 0
Au
travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle »
(Mein Jahrhundert, publié à Gottingen en 1999 – l'édition
française au Seuil à Paris en 1999 également)et de ses traducteurs
français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Les Japonais coupaient leurs nattes et les décapitaient.
Sur la place Tienanmen soufflait
Indifférent, le vent du désert ;
Les nattes en tas arrêtaient les poussières.
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Les
mouvements historiques sont lents comme ceux des aïs et souvent
souterrains. L'histoire est faite par une taupe... Sais-tu cela,
Lucien l'âne mon ami, toi qui la fréquentes depuis si longtemps,
l'histoire.
En
effet, Marco Valdo M.I. mon ami, les gens se trompent qui n'en voient
que le moment, qui ne perçoivent que les événements... C'est
l'écume des temps... Et pourtant... quand on a parcouru l'histoire
aussi longtemps que je l'ai fait, on s'aperçoit bien vite qu'elle
est faite comme la mer... Qu'elle arrive par longues vagues, avec par
en dessous des courants en sens divers et par au dessus cette écume
des temps, cette écume des jours... Cette écume qu'on découvre
chaque jour dans les journaux, dont on voit d'infimes parcelles sur
les écrans... Mais où veux-tu en venir ?
Je
veux en venir à ceci que si l'on examine les Histoires d'Allemagne,
les deux premières, celles que j'avais tirées des Bananes de
Koenigsberg d'Alexandre Vialatte – une sorte d'avant, pendant et
après l'épidémie d'hitlérite, on constate qu'elles portent sur
deux périodes : de 1922 à 1939 et l'autre partie, sur l'année
1945. Cette fois, j'envisage d'étendre ces Histoires d'Allemagne sur
une période plus longue et plus significative d'un siècle de 1900 à
2000. Je vais le faire, cette fois, avec la complicité (bien
involontaire, je le reconnais) de l’écrivain allemand Günter
Grass.
Günter
Grass, mais, mais... dit Lucien l'âne en ouvrant des yeux de pleine
lune, voici un autre grand écrivain... J'en suis tout ébahi...
Je
ne vois pas ce qui t'étonne, mon ami Lucien l'âne, car – ici même
– j'avais déjà côtoyé (entre autres) Carlo Levi, Antonio
Tabucchi, Ugo Dessy, Giuseppe Dessì... Cela dit, pour des Histoires
d'Allemagne, après Alexandre Vialatte, écrivain français –
certes, traducteur de Kafka – Günter Grass se révèle un témoin
nécessaire. Et Grass a passé sa vie d'écrivain depuis au moins
cinquante ans à raconter l'Allemagne.
Tu
as aussi traduit Günter Grass... ?, dit Lucien l'âne.
Non,
Lucien l'âne mon ami, je n'ai pas traduit Günter Grass, mais
d'autres l'ont excellemment fait et de surcroît, Günter Grass est
très attentif à ses traductions en français, lui qui vécut et
écrivit longtemps à Paris (in tempore non suspecto). Et puis, dans
le fond, tout dépend des traducteurs... Tu le sais bien puisque
comme moi, tu traduis à longueur d'année. Donc, pour ce livre, son
titre en français est « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à
Gottingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999
également). Les traducteurs français sont Claude Porcell et Bernard
Lortholary. Mais, de toute façon, le travail poétique que nous
allons faire, la mise en chanson, nous éloigne au plus près du
texte de départ. La chanson vit une sorte d'existence adjacente,
elle participe de la même « pensée », mais dans un autre univers.
Nous allons donc parcourir le siècle avec un kaléidoscope, sorti
des mains du sculpteur, graveur, écrivain Günter Grass. Notre
voyage comportera un certain nombre d'étapes, de stations,
d'années... Je ne crois pas que nous les ferons toutes, les cent
années ... Elles seront, en quelque sorte, une illustration – bien
imparfaite, je le sais – de ce que proposait Günter Grass à ses
lecteurs.
Tu
as donc du pain sur la planche, comme on dit... Beaucoup même, il me
semble. Maintenant, dit Lucien l'âne, que dit la première canzone
de cette nouvelle série, de ce nouveau cycle de tes « Histoires
d'Allemagne » ?
Cela
dit, la canzone raconte l'intervention de l'Allemagne du Kaiser dans
la Guerre des Boxeurs et spécialement la bataille de Pékin de 1900
– c'est l'année de référence, comme tu le vois, le début du
siècle. La Guerre des Boxeurs est un moment important dans
l'histoire de la Chine; c'est, pour elle, le début de la
mondialisation, le moment d'un basculement qui mettra plus du siècle
à ramener la Chine – pour le bien ou pour le mal, nul ne sait
encore, dans le « concert des nations ». Ce qui s'est joué en
1900, c'est la fin de la Chine millénaire, telle qu'elle avait été
pendant plusieurs milliers d'années, un monde replié sur lui-même.
En fait, à ses yeux, qui étaient ceux de l'Empereur (en
l'occurrence, l'Impératrice Tseu-Hi), la Chine était le monde, elle
était la civilisation et le reste existait à peine. Quant à la
présence militaire des Allemands en Chine, elle remonte à quelques
années auparavant où prenant prétexte de l'assassinat de deux
missionnaires, un corps expéditionnaire avait été envoyé en 1897.
Mais les « 55 jours de Pékin » commenceront par l'assassinat du
Baron von Ketteleer, représentant de l'Allemagne, le 20 juin 1900.
Une véritable guerre alors s'engage entre les légations étrangères
(Japon, Allemagne, Italie, Russie, Autriche-Hongrie, France,
Grande-Bretagne, États-Unis) assiégées dans Pékin, d'un côté et
l'Empire chinois et les Boxeurs, de l'autre. La puissance de feu des
troupes étrangères fera la différence... Les troupes
expéditionnaires allemandes essayèrent à cette occasion les
nouveaux canons Krupp à tir rapide de 50 mm. Fin août, les
légations sont libérées et va commencer une période de massacres
sous le commandement du comte Alfred von Waldersee, qui fera
appliquer l'ordre du Kaiser, tel qu'on le trouve dans la canzone :
«
En avant pour la civilisation. Triple hourra !
Pas
de quartier, pas de prisonniers.
Restait
plus qu'à exécuter
On
était là-bas pour ça, alors, on appliqua. ».
On
tua les Boxers à la chaîne... On en décapita des milliers... Mais
avant de décapiter, on coupait la natte... Et les nattes
s'entassèrent sur la place Tienanmen... Pas de quartier... Il
s'agissait de punir, il s'agissait aussi d'imposer la terreur.
On
dirait, dit Lucien l'âne, un épisode de la Guerre de Cent Mille Ans
que les riches font aux pauvres afin d'accroître leurs richesses,
d'étendre leurs privilèges, d'imposer leur pouvoir...
C'en
est un, mon ami Lucien l'âne. Complexe, certes, pas facile à
déchiffrer... Mais c'en est un et il en annonce d'autres. Ainsi, par
exemple, l'essai des canons Krupp annonce l'essai des bombardiers et
des bombes à phosphore par la Luftwaffe de Hitler à Guernica, au
Pays basque, trente-sept ans plus tard. Mais, c'en est assez pour ce
premier épisode. Il y en aura d'autres.
Ainsi
nous continuerons à tisser le linceul de ce vieux monde myope,
autoritaire et cacochyme
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Moi,
chaque année, je m'échange contre moi.
Comme
il y avait toujours la guerre,
Nous
autres, on se tenait à l'arrière
Pour
nous envoyer nous battre contre les Chinois,
L'Empereur,
casque d'acier à l'aigle,
Parla
des Huns et d'Attila.
Un
discours qui avait de la gueule :
En
avant pour la civilisation. Triple hourra !
Pas
de quartier, pas de prisonniers.
Restait
plus qu'à exécuter ;
On
était là-bas pour ça, alors, on appliqua.
Les
Boxers détestaient les étrangers,
C'est
pourquoi on a dû les fusiller.
Les
Japonais coupaient leurs nattes et les décapitaient.
Sur
la place Tienanmen soufflait
Indifférent,
le vent du désert ;
Les
nattes en tas arrêtaient les poussières.