1901
– Else du Mont des Oliviers
Canzone
française – Else du Mont des Oliviers – Marco Valdo M.I. –
2013
Histoires
d'Allemagne 2
An
de Grass 1
Au travers du kaléidoscope de Günter Grass : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Au travers du kaléidoscope de Günter Grass : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Else du Mont des Oliviers |
Cette
Histoire d'Allemagne n'est pas à sa place chronologique ;
d'ailleurs, elle n'est pas la seule. Et ceci tient au fait que mon
inexpérience et mon ignorance des débuts se sont progressivement
estompées au fur et à mesure que j'actionnais le kaléidoscope de
Günter Grass et que je découvrais les Histoires d'Allemagne. J'en
ai appris des choses et j'en ai croisé des narrateurs et des
narratrices. En voici une encore... Et comme je te l'ai dit, j'aurais
dû la faire paraître bien plus tôt... Mais avec elle – je veux
dire Else Lasker-Schüler, il y a de quoi s'y perdre dans les
méandres des calendriers. Car la chose est sûre et éclatante,
cette femme est un phénomène, à elle seule, un personnage des plus
surprenants. Née il y a presque cent cinquante ans le long de la
Wupper, ce qui en soi n'est pas un exploit, certes, l'enfant prodige
qu'elle fut grandit à Wuppertal – la chose a son importance, vu
que la canzone a comme un de ses points de repère, l'inauguration du
train suspendu de Wuppertal en 1901.
« À
la naissance du monstre de la Wupper
Quand
le dragon courut sur le fer
Dans
les fracas du tonnerre ».
Else
Lasker-Schüler fit sa renommée comme poétesse dès le début du
siècle ; elle dut fuir l'Allemagne dès avril 1933 et elle
finit sa vie en Palestine au début 1945. C'est elle qui envoie des
cartes postales de Jérusalem à un de ses anciens amants, le poète
Gottfried Benn, qui réside à ce moment, croit-elle, dans ce qui
reste de Berlin ; elles ne le joindront jamais.
C'est
assez étrange, je trouve, ce nom d'« Else du Mont des
Oliviers » que tu lui as donné...
Mais,
Lucien l'âne mon ami, c'est tout simplement là qu'elle est enterrée
et, là qu'elle se trouve après avoir franchi la Wupper, alias le
Styx des anciens. Par parenthèse, son premier recueil de poésie est
précisément intitulé « Styx ». Mais pour en revenir à
la canzone, je te signale que le serment auquel il est fait allusion
est doublement significatif, amphibologique, en quelque sorte,
puisqu'il s'agit venant de ce Doktor Benn, lui-même poète allemand
renommé, en raison même du fait qu'il a signé le Gelöbnis
treuester Gefolgschaft – serment de très fidèle obédience au
führer – dès mai 1933, a ipso facto rompu l'amoureux serment. En
clair, Benn en devenant nazi trahit en même temps son amie juive déjà
exilée...
Et
cette histoire de barbichette ? De quoi s'agit-il ? Que
vient-elle faire là ? Car moi, je la connais bien cette
comptine..., dit Lucien l'âne en la fredonnant.
Je
te tiens,
Tu
me tiens
Par
la barbichette
Le
premier qui rira
Aura
une tapette
Au
bout de trois
Un,
deux, trois.
Mais,
Lucien l'âne mon ami, c'est tout simple. C'est en effet une vieille
comptine enfantine française (et tu sais combien j'aime les
comptines et surtout aussi, combien les comptines ou d'autres
chansons qui me trottent en tête me sont de précieux auxiliaires et
m'aident à trouver un rythme, une manière d'amorcer... Bref, elles
mettent en branle mon imagination), et c'en est le texte d'origine,
mais tu vois bien qu'elle est précédée d'un distique que tu n'as
pas chanté :
« Celui
qui cherche trouvera
Celui
qui trouve rira. »
Il
s'agit de savoir qui rira le dernier... Maintenant les cartes
postales de Jérusalem viennent après bien longtemps et même si
elles avaient retrouvé leur destinataire dans les ruines du nazisme,
bien longtemps aussi après la séparation et la trahison, elles
l'auraient – et c'était leur but – mis face à sa conscience,
elles l'auraient mis en accusation face à lui-même.
Mais,
dit Lucien l'âne en redressant ses oreilles pour attirer
l'attention, celui qu'on met ainsi face à son propre arbitre, face à
sa « décence commune », s'il a vraiment trahi, s'il a
donc eu une attitude indécente, que peut-il bien avoir à faire de
ce rappel des faits et de cette interpellation... Il ne faut pas en
attendre quelque regret, quelqu'embarras que ce soit... Un escroc, un
tricheur, un menteur, un traître ne peut exister s'il s'arrête à
des considérations éthiques ou morales.
Tu
as raison, Lucien l'âne mon ami, il peut s'en taper complètement,
il peut même réfuter les faits qu'il a vécus et même, contre
l'évidence de sa propre mémoire, il peut aussi réécrire
l'histoire. Mais le but n'est pas qu'il s'amende, ni même de
l'effrayer... En fait, cela n'a aucune importance ; en fait, il
n'a aucune importance. Ce qui compte, c'est que cela soit dit et
qu'il sache que cela est dit, finalement, là aussi, peu importe. Et
dans le cas qui nous occupe, que cela soit dit pour l'éternité. Je
te précise qu'Else envoie ces cartes en 1945 et qu'elle meurt le 22
janvier de cette année-là. Donc, Else, juste avant d'aller se
réfugier dans le Mont des Oliviers, de devenir Else du Mont des
Oliviers, envoie les trois cartes au Doktor Benn. C'est en quelque
sorte, le mot de la fin ; sans doute, voulait-elle avoir le
dernier mot. J'arrête ici, sinon le rébus ne sera plus un rébus et
la canzone perdra de son mystère et de sa capacité à faire
gambader l'esprit.
Ainsi
donc, nous n'irons pas plus loin et je chercherai à élucider ce qui
est caché. En attendant, il nous faut reprendre notre tâche qui est
de tisser le linceul de ce vieux monde empli de trahisons, de
fureurs, de terreurs et de bruits et décidément, cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Un,
deux, trois
Celui
qui cherche trouvera
Celui
qui trouve rira
Je
te tiens,
Tu
me tiens
Par
la barbichette
Le
premier qui rira
Aura
une tapette
Au
bout de trois
Un,
deux, trois.
Une,
deux, trois
Moi,
Else du Mont des Oliviers
Trois
cartes j'envoie
Un
ensemble bien ficelé
Saint
Sépulcre, Mosquée et Lamentations
En
1945, de Jérusalem
À
Berlin, au Docteur Benn
Dans
les décombres et lamentations
Elles
ne le trouvent pas
Le
Docteur Benn n'est plus là
Plus
tard, il mourra
Un,
deux, trois
Celui
qui cherche trouvera
Celui
qui trouve rira
Je
te tiens,
Tu
me tiens
Par
la barbichette
Le
premier qui rira
Aura
une tapette
Au
bout de trois
Un,
deux, trois.
Tu
as signé le serment
Tu
m'as trahie,
Moi,
ton Else, ta grande amie
Ah !
Tu m'aimais si délicieusement
À
la naissance du monstre de la Wupper
Quand
le dragon courut sur le fer
Dans
les fracas du tonnerre
Écoute
mon piano bleu désespéré
Ce
cygne noir sur la Wupper vient te chercher
Un,
deux, trois
Celui
qui cherche trouvera
Celui
qui trouve rira
Je
te tiens,
Tu
me tiens
Par
la barbichette
Le
premier qui rira
Aura
une tapette
Au
bout de trois
Un,
deux, trois.
Quand
même, tu n'aurais pas dû
Oh !
Spécialiste des maladies vénériennes
T'acoquiner
aux gloires hitlériennes
Ces
gens-là t'ont fait cocu
Comme
ensuite, tu l'as vu
Ah,
Aimé de Dieu et de ton Else in illo tempore
Ah,
Gottfried, viens m'embrasser !
Ah !
Je t'attends ! Mon Giselher !
De
l'autre côté de la noire Wupper.
Un,
deux, trois
Celui
qui cherche trouvera
Celui
qui trouve rira
Je
te tiens,
Tu
me tiens
Par
la barbichette
Le
premier qui rira
Aura
une tapette
Au
bout de trois
Un,
deux, trois.
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