Les
Fantômes De Lunebourg
(Vakuum
im Kopfe)
Canzone française – LES FANTÔMES DE LUNEBOURG (Histoires d'Allemagne 2) – Marco Valdo M.I. – 2010
Vialatterie II.
Canzone française – LES FANTÔMES DE LUNEBOURG (Histoires d'Allemagne 2) – Marco Valdo M.I. – 2010
Vialatterie II.
Mon
cher Lucien l'âne mon ami, te souvient-il de cette canzone
vialattesque qui racontait ce que j'avais appelé des « Histoires
d'Allemagne » ?
Évidemment
que je m'en souviens, Marco Valdo M.I. mon ami. Et comment ne pas
s'en souvenir, elles étaient tellement terrifiantes tes histoires
d'Allemagne. On sentait venir pire que le pire. Et le pire de tout,
c'est qu'il est venu. On chiffre la chose à quarante millions de
morts... ou plus. Certains parfois pourraient l'oublier, certains
parfois voudraient qu'on l'oublie – et qu'on l'oublie tous. Pour
pouvoir recommencer à créer un Empire, un Impero, un Reich... C'est
là l'histoire du ventre encore fécond d'où est sortie la bête
immonde... Qu'elle sorte une patte, qu'elle sorte sa langue, qu'elle
sorte sa queue... Et rien que çà, c'est déjà inquiétant et
nécessite la plus immédiate des éradications... Mais d'ici qu'elle
ressorte la tête, qu'elle redresse le tronc... On ne peut pas la
laisser faire. Vous ne pouvez pas la laisser revenir, vous les
hommes... Jamais, au grand jamais... C'est un conseil d'âne qui en a
tant vu. Bien sûr, il y a eu des erreurs dans le passé, bien sûr
on n'a pas épuré assez (ce n'était d'ailleurs pas un hasard, mais
tout au contraire, une ruse de la bête blessée qui pensait déjà à
renaître de ses cendres), bien sûr , elle essaye de reprendre du
terrain et malheureusement, dans certains pays, elle y arrive... Elle
est même revenue au pouvoir dans certains États, elle se vautre sur
les écrans de télévision en souriant, en prenant des airs de papy
charmant... Prenez garde, vous les humains, tout cela n'est que
déguisement...
Oh,
mon ami Lucien l'âne tu ne dois pas me convaincre de ce véritable
danger... Je le sais, je le connais. Mais, la canzone du jour ne
parle pas de cet état de choses. Elle envisage bien autre chose,
comme tu le verras. Ce ne sont pas des supputations. Ce sont des
faits. Des faits véridiques rapportés par un homme probe, un témoin
honnête (chose rare en ce temps-là, comme maintenant), un homme au
jugement sûr, un homme clairvoyant et ce qui n'est pas rien,
modeste, sans autre prétention que de dire ce qu'il voit. Bref, un
de ces journalistes, un de ces chroniqueurs de qualité et de vérité
tels qu'on n'en rencontre plus beaucoup de ces temps-ci. Tu me diras
qu'il n'y en avait pas trop de ces temps-là... et je t'approuverai.
Mais Vialatte, c'est Vialatte et jamais il n'a délaissé ses
convictions – dont cette manière de pratiquer le métier
d'écrivain, de poète, de journaliste et de chroniqueur. On l'a
envoyé pour raconter ce qu'il voyait, ce qu'il entendait, lui le
traducteur de Kafka, et il raconte ce qu'il a vu, ce qu'il a entendu,
que cela plaise ou non. Il va plus loin, il met en garde, car tel est
son devoir. Cela dit, pour ce qui est de la canzone – tirée elle
aussi des Bananes de Koenigsberg, elle raconte l'après, mais le
juste après... Au moment où on découvre l'Allemagne après le
passage de l'épidémie hitlérienne, juste après l'effondrement du
Troisième Reich. On en est au Quatrième Reich...
Au
Quatrième Reich ? Quel Quatrième Reich ?, demande Lucien l'âne en
roulant des yeux noirs comme la lave de l'Etna.
Vois-tu,
Lucien l'âne mon ami, il y a bien eu un Quatrième Reich, qui n'eut
pas trop de légitimité, qui n'eut une existence que très
momentanée et précaire, en attendant les Républiques Fédérale et
Démocratique. L'Allemagne était dans l'incertitude. Elle était
traversée de toutes sortes de rêves. Elle se demandait, si la
guerre n'allait pas se relancer entre ses vainqueurs et pour une
part, elle l'espérait. Ses Dieux avaient encore soif. Les ex (et
toujours) – hitléristes, ces nazis de la veille, ces démocrates
de demain, penchaient nettement pour un ancrage à l'Ouest, pour une
Allemagne unie et débarrassée de toute perspective de vie
collectivement organisée, débarrassée de la hantise d'une
liquidation de son rêve de puissance. La matrone n'avait pas dit son
dernier mot. Avec le recul, on peut voir qu'elle y est presque
arrivée... Le Quatrième Reich, ce fantôme de Lunebourg, étend son
ombre sur toute l'Europe actuelle.
Assez
pour ce fantôme, Marco Valdo M.I. mon ami, revenons aux temps de la
chanson.
Juste
une dernière remarque (à propos de l'Ouest...), c'est juste au
moment du Quatrième Reich qu'il y eut le vrai miracle allemand...
Un
Miracle allemand ? N'était-ce pas plus tard ? N'était-ce pas ce
redressement économique spectaculaire ? Lequel correspondait peu ou
prou à une période de prospérité dans toute l'Europe... Je veux
dire dans tout l'Ouest européen...
Non,
ce ne fut pas celui-là... Le vrai, j'insiste sur le vrai « miracle
» allemand et il est d'une envergure gigantesque... Se situe à ce
moment-là. Un vrai tour de magie, digne des noces de Canaa, qui les
surpasse même... car il a traversé tout le continent. Il s'est
produit partout où le nazisme ou une de ses variantes : fascisme,
populisme, pétainisme, collaborations en tous genres... s'étaient
développés dans les années précédentes et ce miracle, c'est
d'avoir fait disparaître comme par magie des millions et des
millions de nazis, fascistes ou assimilés en un instant... Celui de
la libération et même, juste un peu avant. On n'en retrouva que
quelques-uns et encore, même ceux-là niaient de l'être ou de
l'avoir été. C'est
ainsi que soixante ans après, on les retrouve, on retrouve leurs
façons... Un peu partout en Europe.
Cela
m'inquiète autant que toi, mais qu'en est-il de la chanson ?, dit
Lucien l'âne.
J'y
reviens. Donc, à ce moment, les camps venaient d'être libérés et
on commençait à instruire les procès contre les tenanciers de ces
immenses abattoirs. À propos de camps, justement, tu as certainement
en mémoire les camps de travail, les camps de concentration, les
camps d'extermination... Ici, tu découvriras le camp pour malades.
Oui, tu as bien entendu. Un camp pour malades. Belsen était un camp
pour malades. En théorie, c'était
un lieu de soins. La réalité, comme tu le verras dans la chanson,
était tout autre : deux médecins pour septante-deux mille malades.
C'est
peu, en effet... Donc, la canzone nous raconte ces grands massacres
et les massacreurs. Que dit-elle d'autre ?
Ce
sont ces moments de la libération des camps et ce qui s'ensuivit
immédiatement que raconte la canzone... Elle le fait afin que nul
n'en ignore et que nul ne puisse – jamais, au grand jamais – dire
que cela n'a pas existé... Même si les accusés (accusés à juste
titre, la suite le démontra : ils étaient nettement coupables) et
leurs successeurs, hitléristes, nazis, fascistes, sectateurs de
l'Edelweiss ou tout ce qu'on voudra du genre, néo-ceci, néo-cela,
en chemises bleues, noires, brunes ou vertes... en costume cravate ou
en uniforme... prétendent la main sur le cœur que tout cela ne fut
pas, qu'ils sont de doux agneaux et que le loup est ailleurs. Tel est
le sens de la canzone. À titre exemplaire, elle raconte les procès
faits à quelques-uns de ces gens-là, que Vialatte appelle Les
Fantômes de Lunebourg... Ceux-là avaient comme un « Vakuum im
Kopfe », littéralement comme un « vide dans la tête », ils ne se
souviennent jamais de rien, ils ne savent jamais rien... Il y en eut
d'autres, beaucoup d'autres de procès, ailleurs, mais tous allaient
dans la même direction, jusqu'à celui fait à Eichmann, par
exemple. Foi d'accusé : personne n'avait jamais rien fait, tout le
monde n'avait fait qu'obéir aux ordres... En somme, ils répondaient,
on le verra ici, tout simplement : « Nous , moi, je... On a tué
parce qu'on nous en avait donné l'ordre... On ne faisait que ceci ou
cela, pour le reste, on ne sait rien... On ne faisait qu'obéir...
Sous-entendu : « Qu'eussions-nous pu faire d'autre ? »
On
peut leur répondre, on doit leur répondre : « À cette heure comme
toujours : Résistance ! » (Ora e sempre : Resistenza ! »), dit
Lucien l'âne en raidissant son poitrail et ses pattes, en calant
bien ses petits sabots noirs sur le sol. Mais pour cela, il eut fallu
ne pas être d'accord, refuser d'obéir, comme dit Vian. En somme, ne
pas collaborer avec le système. Ce qui est d'ailleurs un principe
général, applicable en tout temps. Au moins tant que durera la
Guerre de Cent Mille ans que les riches font aux pauvres pour assurer
leurs richesses, pour étendre leurs pouvoirs, pour multiplier leurs
privilèges et pour renforcer leurs prérogatives. Toujours plus,
telle est la devise dans le camp des riches.
Cette
idée de refus de collaborer avec le système me paraît juste et
essentielle. D'abord, comme principe d'hygiène sociale, car c'est au
travers de pareille collaboration , de toutes ces « petites »
collaborations, de toutes ces petites acceptations que le système
tient et se perpétue. Ensuite, comme principe d'hygiène de vie,
comme moyen de sauvegarder sa propre dignité...
et ne pas arriver un jour à se dégoûter soi-même d'avoir tant
servi un maître aussi odieux. Cela me semble le degré zéro de la
dignité humaine et une manière simple, efficace et exemplaire de
tisser le linceul de ce vieux monde menteur, racoleur et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
FÉVRIER
1945 – LA LORELEI
Le
Rhin est un cimetière
Les
ponts ne sont plus que décombres
L'Allemagne
n'est que gravats.
La
Lorelei est toujours là.
Mayence
est en ruines.
Mayence
n'est que ruines.
Sur
un trottoir,
Un
bouquet de fleurs sèches.
Un
bouquet de fleurs se dessèche.
Dans
un entonnoir.
«
À Baris, tout le monde me brenait bour un Anglais »
Dit
le Dr. K. , sorti vivant des feux du ciel.
À
Paris, tout le monde le prenait pour un Anglais
Comique
et démentiel.
JUIN
1945 – ACCORDÉONS ET HARMONICAS
Trossingen
au bord du Danube
Est
la ville de l'accordéon ;
Elle
en gave le monde
De
ses accordéons :
Deux
cent mille par an
En
temps de paix seulement
Et
douze millions d'harmonicas.
Dans
l'intervalle, l'usine est consacrée
Au
matériel de précision et aux fusées.
L'accordéon
et l'harmonica
Dans
un mélange de cadavres et de flonflons
Mènent
la danse des squelettes
Au
carnaval pourri du quatrième Reich.
Dans
un mélange de cadavres et de flonflons
Mènent
la danse des squelettes
Au
carnaval pourri du quatrième Reich.
JUIN
1945 – RÉMINISCENCES
Schörtsingen
– réminiscences :
Au-dessus
du plateau battu par les vents
Une
baraque seule dans le temps
Deux
crochets, une potence
Un
camp de travail, quatre miradors
On
sent rôder du fantôme et de la mort.
Une
odeur compliquée, un remugle intense
Le
grand massacre
Commença
par une promenade
En
septembre mil neuf cent quarante-quatre.
Il
ne finit qu'en mars de l'année suivante.
Un
à un, on sortit les cadavres du charnier
On
en compta cinq cent cinquante.
Peut-être,
y en a-t-il d'autres encore cachés.
À
l'arrivée des Français, les fosses béaient
Un
pendu ou deux perdaient la tête
Aux
crochets de l'escarpolette.
Quarante
SS les gardaient.
Et
l'écho répondait têtu,
D'un
glas lourd
Fera-t-on
la quête à Oradour
Pour
un monument au SS inconnu ?
AOÛT
1945 – BAVIÈRE - MADAME SCHMIDT
La
plupart des vrais hitléristes
Dans
un vif sentiment d'anti-naziste.
Ont
jeté leur nerf de boeuf ;
La
devanture est peinte à neuf.
Madame
Schmidt dit :
Ils
nous avaient promis
À
deux mille marks en deux ans
Par
mois, l'auto pour tous, en avant !
En
39 : changement de programme
L'auto,
c'est pour la patrie.
En
temps de guerre, vous comprenez, Madame
On
donne tout à la patrie.
On
n'a pas eu de voiture,
On
n'a plus eu de patrie ;
L'argent
est resté à la guerre ;
Il
n'est jamais revenu.
Cette
clique, cette charogne...
Ils
nous ont bien eus.
Madame
Schmidt dit :
Ils
nous avaient promis...
Ils
nous ont bien eus.
LUNEBOURG
– OCTOBRE 1945 – AU TRIBUNAL : INTERROGATOIRES
Vous
saviez qu'il était très mal de tuer ces femmes et ces enfants ?
Oui.
Et
vous en tuiez tous les jours ?
Oh
non, pas tous les jours !
Combien
vos fours ont-ils fait de victimes ?
Je
ne sais pas.
Combien
de centaines de personnes avez-vous mises dans les camions du
crématoire ?
Je
ne sais pas.
Combien
de milliers ?
Je
ne sais pas...
Combien
de millions...
LUNEBOURG
– 4 OCTOBRE 1945 – LE PAYS DE L'OGRE
Au
pays de l'Ogre
Là
où il ne reste plus mie
Une
harpe, un pupitre
À
Lunebourg au bout de la nuit
Un
oiseau devant le tribunal
Petit
Poucet : « Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des
rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse. »
Petit
Poucet de treize ans
L'avant-bras
gauche tatoué en bleu infernal
D'un
matricule modèle Auschwitz désespérant
Avait
sauté du train juste à temps
Ils
ont brûlés vifs tous les autres enfants.
L'Allemagne
de l'Ogre
Était
un conte de fées.
Peuplée
de foules enthousiasmées
Saturée
d'ombres et de ténèbres
LUNEBOURG
– 5 OCTOBRE 1945 – LA FINE FLEUR
Comme
à une noce du Douanier Rousseau.
Dos
raide, œil de veau
Les
accusés sur le banc
Comme
à l'ordinaire, bien en rang
Oreilles
décollées, asymétries faciales.
Infectés
d'une supériorité raciale.
La
fine fleur de la race aryenne.
Tous
SS, tous de foi hitlérienne.
LUNEBOURG
– 5 OCTOBRE 1945 – UN TÉMOIGNAGE
Témoignage
véridique
L'accusé
Schreiber, le premier du lot
Aimait
le violon, la musique,
Sa
maman et les petits oiseaux
LUNEBOURG
– 8 OCTOBRE 1945 - KRAMER
Au
début, Kramer faisait son jardin
Il
commençait comme çà, tous les matins.
Kramer
était un homme ordinaire
Un
fonctionnaire... Soucieux de bien faire
Kramer
était un homme d'ordre
Respectueux
des ordres, soucieux du bon ordre
Il
avait commencé sa carrière
En
Alsace, à Natzweiler,
Il
y avait construit une chambre à gaz : la première
À
la fin, Kramer faisait toujours son jardin,
Kramer
dirigeait à Belsen, un camp pour malades
Septante-deux
mille malades, deux médecins
Une
invasion de mourants en cascade
Des
trains, des trains... à toutes les heures
Un
océan de morts submergeaient les tueurs.
LUNEBOURG
– 12 OCTOBRE 1945 - Vakuum im Kopfe
Pour
la défense des SS, c'étaient des militaires
Des
officiers, des soldats
Le
procès est une erreur judiciaire
La
Gestapo ne savait pas
Qu'elle
arrêtait des condamnés
Le
médecin ne savait pas
Pourquoi
il sélectionnait les prisonniers
Le
pourvoyeur du crématoire ne savait pas
Ce
qu'on devient dans un four
Le
chauffeur ne savait pas
Ce
qu'il brûlait dans le même four.
Personne
ne savait rien.
Pourtant,
c'étaient tous des ex-hitlériens.
L'ignorance
s'était emparée
Du
pays d'Hitler et des Allemands
L'amnésie
s'était installée.
Dans
aucune nation, jamais auparavant
Cinq
millions d'hommes n'étaient
Disparus
si confidentiellement.
Vakuum
im Kopfe
Vous
reprendrez bien un café ?
Vakuum
im Kopfe
Vous
reprendrez bien un café ?
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