1910
- La Grosse Berta
Canzone
française – La Grosse Berta – 1910 – Marco Valdo M.I. – 2011
Histoires
d'Allemagne 12
An
de Grass : 10
Au
travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle »
(Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition
française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses
traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Comme
bien tu penses, Lucien l'âne mon ami, une guerre, ça se prépare.
Une guerre militaire, je veux dire, une de celles où on envoie plein
de gens se massacrer réciproquement et où on utilise plein
d'armements, si possible, les plus puissants, les plus saignants.
Bref, où on fait un tas de morts, de blessés, de mutilés. Et si on
veut exécuter la chose en grand, on ne saurait y échapper, il faut
du temps... Il y faut beaucoup temps, sans compter des masses
d'argent, pour s'y préparer en espérant un certain succès.
L'armement est certes une affaire de militaires, mais surtout aussi,
d'industriels et de capitaux. Tu me diras sans doute qu'il y faut
aussi des ouvriers, mais si c'est évident, il n'en reste pas moins
que ceux-là ne sont que des rouages de l'immense machine. Comme nous
suivons ici ces histoires d'Allemagne, ces anecdotes quelque peu
éclairantes sorties tout droit du kaléidoscope de Monsieur Grass,
il te souviendra qu'on a déjà vu un peu ce qu'il en était de la
marine et de la sous-marine impériales. Ici, c'est l'histoire d'une
des armes les plus célèbres de l'armée allemande, dont la canzone
va nous entretenir. Oh, rassure-toi, il n'est nullement question d'en
faire l'apologie, ni même de traiter l'affaire à la manière
militaire... L'approche est bien plus civile... comme tu le verras.
Et ne manque pas d'un certain recul...
J'aime
autant, dit Lucien l'âne en secouant son postérieur pour souligner
son propos. Et puis, je ne te vois pas chanter les louanges de la
puissance militaire. Cependant, je suis curieux de voir l'angle
d'attaque, si j'ose ainsi dire, de ton histoire.
Si
tu oses dire... Tu ne crois pas si bien dire... en parlant d'angle
d'attaque et cela pour plusieurs raisons. La première est carrément
militaire, car la notion-même d'angle d'attaque renvoie directement
au langage et aux conceptions militaires. La seconde est tout aussi
guerrière, puisqu'il s'agit ici d'artillerie, discipline où bien
évidemment les angles ont leur mot à dire, de même que la
trigonométrie, le calcul intégral et toutes sortes de
kabbalistiques réflexions balistiques. La troisième et c'est là
que je veux en venir, en relevant ton « si j'ose dire », est la
croupe magnifique de la dame qui raconte l'histoire. Une dame, une
ouvrière, disons la femme d'un ouvrier des aciéries Krupp à
Essen... qui est furieuse car les ouvriers de la cité où elle
habite se moquent d'elle du fait qu'elle s'appelle Berta et qu'elle a
quelques rondeurs. L'angle d'attaque de leurs plaisanteries, si j'ose
ainsi m'exprimer, est qu'en secret dans l'usine, ils mettent au point
la Dicke Berta – la Grosse Berta, un canon d'envergure
exceptionnelle, dont je te passerai les détails techniques
Oui,
oui, j'en ai entendu parler. C'était, quand je l'ai vue plus tard,
une belle pièce d'artillerie. Une machine de guerre gigantesque et
assez pesante, il est vrai. Mais aussi, elle m'a l'air drôle cette
dame, cette Berta et bien décidée à ne pas s'en laisser conter par
ces messieurs et leurs plaisanteries fines.
En
effet, elle est assez sarcastique et très femme du peuple. Moi, je
l'aime bien la Berta. Mais elle, elle en veut vraiment beaucoup à ce
canon monstrueux auquel on a donné un nom similaire au sien. Elle
déteste la monstrueuse chose d'acier, qui faisait quand même
quarante-deux tonnes et envoyait des centaines de kilos de mort à
chaque tir. Tout ça montre qu'il ne faut jamais laisser les enfants
jouer avec des allumettes... Qu'on ne vienne pas dire qu'il n'y a pas
eu de préméditation dans le déclenchement de la Grande Guerre,
quand on sait tout ce qui se mettait au point en matière d'armement.
Nous sommes en 1908, six ans plus tard, peut-être huit – question
de mise au point, la bouche à feu de Berta et celles de ses petits
copains crachaient la mort à plein poumons. Par ailleurs, je te
rappelle qu'on en avait déjà parlé de ces aciéristes Krupp à
propos des ouvriers de Turin et de la mort blanche aux usines
Thyssen-Krupp... On soulignait déjà ce même mépris de l'humanité.
En
somme, dit Lucien l'âne, la canzone du jour raconte une facette de
cette Guerre de Cent Mille Ans que les riches font contre les
pauvres, où ils se servent des pauvres pour s'enrichir encore et
encore, pour accroître leur domination, perpétuer leurs privilèges
sans trop se soucier, et pour dire les choses plus clairement encore,
en se foutant complètement des dégâts et des morts que leurs
délires et leurs caprices occasionnent. Et nous, dans cette Guerre
de Cent Mille Ans, nous qui avons clairement choisi notre camp, nous
devons avoir l'obstination majeure, cette haute volonté permanente
de saper leur arrogance, de tisser le linceul de ce vieux monde
avide, assassin et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
Je
suis Berta, la grosse Berta
J'ai
deux jambes, deux bras
Et
tout ce que vous voyez là.
Je
suis la Berta de la cité-jardin
Avec
Jacob, mon mari, on habite Essen à côté des usines Krupp
Et
quand je pends la lessive au jardin,
Les
hommes qui passent me font des commentaires sur ma croupe.
Mon
Jacob travaille à la fonderie d'acier ;
Là-bas,
dit-il, ils fondent des canons.
Une
bouche à feu de quarante-deux centimètres; difficile à couler.
Une
fabrication secrète, la grande fleur de la nation.
Son
nom de code est Grosse Berta : Dicke Berta ;
Ils
l'appellent aussi Berta l'Assidue : Fleissige Berta.
Elle
doit imposer la grandeur de l'Empire allemand.
Il
faut du temps pour la mettre au point, leur Berta ;
Subséquemment, subséquemment,
Subséquemment, tous se foutent de moi
Subséquemment, subséquemment,
Subséquemment, tous se foutent de moi
Et
sur ma croupe, ils plaisantent tous lourdement.
Je
suis Berta, la grosse Berta
J'ai
deux jambes, deux bras
Et
tout ce que vous voyez là.
Ils
disent : « On y arrivera avant que ça pète ! »
Vous
imaginez ça, vous voyez ma tête !
Quand
ça a pété, ils ont canardé Paris avec leur Grosse Berta.
À
cause d'elle, de cette grosse pétasse, les Français riaient de moi.
Je
déteste qu'on l'appelle comme moi, cette horreur-là.
Et
puis, ce n'était même pas la Berta qui a fait tous ces dégâts.
Mais
les Parisener Kanonen – les Canons Parisiens
Qui
tiraient comme des fous, dès le matin,
Avec
leurs cous de girafe asthmatiques.
Ils
s'appelaient : Lange Max et Lange Frédéric.
Ils
venaient aussi de chez nous, ces deux idiots
Et
puis, avec leurs obus de 400 kilos
Ils
ont fait plus de 250 morts et des centaines de blessés.
Je
suis Berta, la grosse Berta
J'ai
deux jambes, deux bras
Et
tout ce que vous voyez là.
Mais
moi, même si je suis la grosse Berta de la cité,
Je
n'ai jamais tué personne, moi. Je déteste ça.
Jacob,
mon mari, qui m'aime tant, est revenu estropié.
Il
m'a dit : « Ce qui compte, c'est que tu aies la santé, Berta
! ».
Regardez-moi...
J'ai une santé resplendissante.
Vous
savez, l'autre Berta a repris du service à la guerre suivante ;
Elle
avait juste changé de nom; on l'appelait alors la Grande Gilda.
Mais
cette fois, c'est Karl et Gustav qui ont fait le plus de dégâts.
Je
suis Berta, la grosse Berta
J'ai
deux jambes, deux bras
Et
tout ce que vous voyez là.
Je
suis la Berta de la cité-jardin
Avec
Jacob, mon mari, on habite Essen à côté des usines Krupp
Et
quand je pends la lessive au jardin
Les
hommes qui passent me font des commentaires sur ma croupe.
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