mercredi 26 février 2014

1963 – La Mousse du Vestiaire

1963 – La Mousse du Vestiaire


Canzone française – La Mousse du Vestiaire – Marco Valdo M.I. – 2012
Histoires d'Allemagne 64

An de Grass : 63

Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 –
l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.




Nous voici en 1963, quelque part en Allemagne... C'est du moins ce qui ressort du propos de la narratrice. Car cette fois, Lucien l'âne mon ami, c'est une narratrice qui nous conte cette histoire d'Allemagne. J'insiste un peu car sa présentation par elle-même au début de la canzone pourrait laisser croire qu'il s'agit d'un narrateur. Écoute :

« En ce temps-là, moi j'étais matelot,
Petit marin d'un grand paquebot... »,
ce qui semble contredire le titre : « La Mousse du Vestiaire ».


Au fait, Marco Valdo M.I., mon ami, voilà un bien étrange titre... Car, si j'ai bien entendu, il s'agit d'une narratrice... Ce qui expliquerait le « la »... Mais enfin, le ou la mousse, ce n'est pas la même chose. En italien par exemple, cela donnerait la schiuma, ce qui ne pourrait être une personne. Ou il mozzo et là, on trouve en effet un métier, une fonction généralement occupée par les garçons. Le mozzo est un jeune marin... Mais que vient-il faire dans un vestiaire ?


Oh, Lucien l'âne mon ami, ne t'emballe pas comme ça, tout va s'éclaircir bientôt, même dans la canzone. Bien que l'égalité entre les sexes, y compris dans le langage, soit une revendication des plus honorables, il y a cet inconvénient, en effet, que lorsqu'on féminise certains noms, cela crée de regrettables confusions. Je ne pourrais même pas tenter de féminiser le mozzo en lui collant la terminaison « a », signe de féminité. Car, vois-tu, Lucien l'âne mon ami, la mozza, c'est un fromage. Mais néanmoins, le poète a féminisé pour s'adapter aux nouvelles mœurs de son époque. Donc, la mousse, sans barguigner.


Oui, mais le vestiaire alors ? Ce n'est un navire, ça... Explique-moi cette mousse de vestiaire ?


C'est assez simple. Admettons que la mousse soit une vraie mousse, il faut en effet que ce vestiaire soit non pas un bateau, ce n'est pas nécessaire. Mais à tout le moins sur un bateau et c'est le cas ainsi qu'il apparaît immédiatement dans la chanson : par son refrain d'abord... Il était un petit navire... et par le premier couplet : « En ce temps, j'étais matelot... ». Je sais, je sais à tes yeux pleins de malice que tu aurais voulu que je mette un féminin à « matelot »... Mais, ce n'est pas plus possible que pour la « mozza »...


Pourquoi ?, mon ami Marco Valdo M.I., ne pourrait-on pas mettre un féminin à matelot ?


Pourquoi ? Mais enfin, Lucien, souviens-toi, il faudrait dire comme féminin de matelot, une matelote... Cela ne se peut, sous peine de devoir la faire bouillir au vin rouge et aux oignons... ou alors, de devoir la danser... Tu auras compris que la matelote est soit une préparation culinaire, soit une danse. Que faire ? Remarque que la canzone prend bien soin de ne pas mettre d'article révélateur... Et ainsi de suite avec marin... flûtiste... Il y a un vrai problème avec les noms de métier.


Et finalement, dit Lucien l'âne se dressant les oreilles à la verticale tant il est éberlué, il n'y a que le « la » de la mousse qui nous renseigne sur le genre de la personne... Et encore... Cela dit, que narre la canzone de cette mousse-flûtiste...




En fait, la narratrice raconte l'histoire de la fin de la construction de la Philharmonie de Berlin. Une sorte de grand bateau architectural... l'architecte était originaire de Brême, grand port allemand, comme tu le sais. Un architecte naval en quelque sorte. Et notre narratrice est en effet une jeune flûtiste... mais la musique à ce stade ne rapporte pas de quoi vivre ; alors, elle tient le vestiaire et tire des coups de revolver, semblant ainsi annoncer des faits ultérieurs. Quant aux événements qu'elle rapporte – outre ce qui concerne la Philharmonie et le Zirkus Karajani (le cirque de Karajan, lui-même chef de l'orchestre, fort autoritaire et un tantinet mégalomane, dit-on. Il n'a voulu rien de moins que la Neuvième de Beethoven pour l'inauguration de son bateau), on parle de ce qui se passe autour et alentour du fameux navire : il y a un gars, venu d'Amérique, et qui se met à crier comme dans une transe (la célèbre transe atlantique...) : Ich bin ein Berliner ! Je ne te traduirai pas... sous peine de devoir te parler de « boule de Berlin » et autres pâtisseries.





Je vois, je vois. Il faut s'y retrouver dans ta canzone. Par exemple, dis-moi, qu'a-t-il fait à Cuba, le gars venu d'Amérique.


C'est toujours ainsi avec les poètes, ils préfèrent l'allusion au discours direct... Faut-dire que ça permet de tout dire en peu de mots. Donc, le gars qui crie... Tu as sans doute reconnu John Fitzgerald Kennedy, membre d'une lignée dynastique de riches irlandais émigrés à Boston aux Zétazunis. Quand il crie, il est président des Zétazunis en titre. C'est lui qui a décrété le blocus de Cuba... Le noir qui rêve est un pasteur nommé Martin Luther King... Avec un nom pareil rien d'étonnant, foi de Valdo. « L'autre Alabama » est dans son discours de rêveur, il dit à peu près ceci : « J'ai rêvé qu'un jour en Alabama... les petits garçons noirs et les petites filles noires pourront donner la main aux petits garçons blancs et aux petites filles blanches, comme des frères et des sœurs. » Comme dit la canzone :

« Ah, les discours, c'est jamais gagné
Cause toujours. Tous deux périrent assassinés. »

En ce qui concerne le pasteur-rêveur, il commençait à passer les bornes en lançant le grand combat des pauvres – de toutes les couleurs contre la domination des riches – de toutes les couleurs. Et ça, c'était vraiment dangereux.... On ne lui a pas pardonné. D'ailleurs, encore aujourd'hui, on oublie, on cache soigneusement cet aspect de son combat.


Et pour finir tes explications, qu'est-ce que c'est que ce miracle ? Encore le pasteur ?, dit Lucien l'âne en souriant de son étrange bouche.


Comme tu le vois dans la canzone, ce soi-disant miracle n'en est pas un. La mine a tué vingt-neuf personnes, vingt-neuf ouvriers, vingt-neuf mineurs... Mais la presse sans doute gênée aux entournures face à ce crime patronal, les a tout simplement oubliés, elle les a étouffés une seconde fois, ces vingt-neuf-là. Ils étaient 129 au fond, il n'en est remonté que 100. Moi, je compte les 29 qui sont restés sous le carreau.


Oui, dit Lucien l'âne, oui, c'est souvent comme ça dans ce monde où, en définitive, seule compte la richesse et la puissance ; dans ce monde ravagé par la Guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres pour accroître encore et toujours leurs richesses, étendre leur domination, renforcer leurs privilèges, et tirer du pauvre – mort ou vif – toujours plus de profit. Il nous faut faire ce que nous pouvons faire pour mettre un terme à cette guerre injuste et folle et tisser sans relâche le linceul de ce vieux monde menteur, dissimulateur, tricheur, sans scrupules, assassin et cacochyme.


Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




Il était un petit navire,
Il était petit navire
Qui n'avait ja, ja, jamais navigué
Qui n'avait ja, ja, jamais navigué

En ce temps-là, moi j'étais matelot,
Petit marin d'un grand paquebot
Vaisseau, voilier, vapeur à musique
Le grand croiseur de la Philharmonie

Il était un petit navire,
Il était petit navire
Qui n'avait ja, ja, jamais navigué
Qui n'avait ja, ja, jamais navigué

À la place de l'ancienne patinoire
Et du Circus Sarasani
On mit le « Zirkus Karajani »,
Un gigantesque navire de terre

Il était un petit navire,
Il était petit navire
Qui n'avait ja, ja, jamais navigué
Qui n'avait ja, ja, jamais navigué

Flûtiste intérimaire
J'étais la mousse du vestiaire
Du vaisseau, du voilier, du vapeur à musique
Du grand croiseur de la Philharmonie

Il était un petit navire,
Il était petit navire
Qui n'avait ja, ja, jamais navigué
Qui n'avait ja, ja, jamais navigué
 
Dans la grande salle du Berliner
J'ai tiré cinq coups de revolver
Un gars criait en plein air
Ich bin ein Berliner

Il était un petit navire,
Il était petit navire
Qui n'avait ja, ja, jamais navigué
Qui n'avait ja, ja, jamais navigué

Le gars était venu d'Amérique en étouffant Cuba
Au loin là-bas, un noir faisait le rêve d'un autre Alabama
Ah, les discours, c'est jamais gagné
Cause toujours. Tous deux périrent assassinés.

Il était un petit navire,
Il était petit navire
Qui n'avait ja, ja, jamais navigué
Qui n'avait ja, ja, jamais navigué

Ce fut une année de légende,
Wunder von Lengede, miracle à Lengede.
Au milieu de novembre
Au fond de la mine, il restait 29 cadavres

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/6/66/Lengede_Seilbahnpark_Bergmann.jpg


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire