samedi 28 décembre 2013

1990 - Le Pragmatisme saxon

1990 - Le Pragmatisme saxon


Canzone française – Le Pragmatisme saxon– Marco Valdo M.I. – 2013
Histoires d'Allemagne 89
An de Grass 90

Au travers du kaléidoscope de Günter Grass : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.



Deutschland ein...







Ah, dit Lucien l'âne, moi, je connaissais le génitif saxon... Du moins, j'en ai déjà entendu parlé... N'est-ce pas cette étrange manière de dire les choses qui fait surgir des phrases aussi étranges que : « Le docteur, son chien a mordu la dame, sa chatte ».


Ton exemple, Lucien l'âne mon ami, et je te reconnais bien là, est pour le moins scabreux, même s'il est rigoureusement exact. Mais enfin, tu n'as pas pu t'empêcher de faire une digression... Cependant, où veux-tu en venir exactement ?


À ceci que si je connais le génitif saxon, je n'avais jamais rencontré jusqu'ici le pragmatisme saxon qui fait le titre de ta nouvelle histoire d'Allemagne. On dirait l'intitulé d'un chapitre d'un livre ou d'une leçon de philosophie. Je vois assez bien ce que peut être le pragmatisme et je résumerais ce que j'en sais en disant qu'il s'agit selon toute vraisemblance d'une attitude ou d'une doctrine qui ne voit de vérité que dans la valeur pratique et vraisemblablement, de façon générale ici (hic et nunc – ici et maintenant – dans cette société-ci...), j'imagine dans la valeur la plus pratique qui soit : l'argent, la richesse... Autrement dit, le pragmatisme est la définition-même de l'attitude, de la posture du riche dans la Guerre de Cent Mille Ans qu'il mène contre les pauvres aux seules fins de les dépouiller systématiquement.


On ne saurait mieux définir la chose...On dirait mon ami Lucien l'âne, que tu as l'âme et l'esprit d'un philosophe... Mais la chose ne peut m'étonner sachant d'où tu viens... Cela dit, si tu vas ainsi directement au fond des choses, certains diront que ceci, que cela et encore autre chose... Bref, trouveront toujours à redire aux paroles d'un âne. Cependant, afin de couper court à toute argutie, je dirai qu'avec certitude et sans discussion possible, ta définition du pragmatisme correspond tout à fait à celle qu'il conviendrait d'appliquer à ce « pragmatisme saxon », qui est l'objet de la chanson. Ainsi, notre narrateur, une fois encore Günter Grass lui-même, se rend à Leipzig, donc en Saxe, à l'occasion des « premières élections libres », qui vont voir une victoire écrasante de la CDU – le parti de la droite allemande et ici, pan-allemande, le parti qui (et c'est le cas aujourd’hui encore) porte à bout de bras le fameux « rêve d'Otto », dont nous avons déjà souvent parlé.


En somme, dit Lucien l'âne en riant de toutes ses belles dents, pour paraphraser Sully, on pourrait dire que « pragmatisme et nationalisme sont les deux mamelles de la CDU » . Il est hébergé pour l'occasion chez un « hygiéniste », il faut évidemment comprendre d'un marchand de produits d'hygiène (est-ce ce qu'on nomme ici un droguiste ou alors, un bandagiste – je n'ai pas réussi à le démêler...)... L'essentiel est qu'il s'agit d'un marchand, qui personnifie le « pragmatisme saxon ». Lequel pragmatisme l'a conduit à « récupérer » toutes sortes d'objets publics, dont il garnit son jardin : chaises, réverbère, Christ, apôtres... Il n'y a pas de petit profit ! Au regard de ce qui se passe actuellement en Europe, ce pragmatisme saxon aurait tout aussi bien pu être qualifié de « germanique » et c'est d'ailleurs lui qui guide l'Allemagne d'aujourd'hui...


J'imagine que tu veux parler de cette Allemagne écrasante et avide qui veut imposer sa loi à l'Europe entière... REGARDEZ CE QU'ILS FONT AUX GRECS, ILS VOUS LE FERONT DEMAIN... (si ce n'est déjà commencé...).


C'est en effet de celle-là qu'il est question et ce qui va se passer là chez ce personnage de l'hygiéniste est la prémonition de ce que vont vivre les lambeaux de la Démocratique lors de la réunification – la « récupération » des biens publics par le privé et les craintes d'un démantèlement social et économique et dès lors, sociétal... vont se révéler exactes... . En contrepoint, on trouve un autre personnage, Jakob qui vient rappeler ce dont est capable le « pragmatisme saxon » quand on l’applique à une échelle plus vaste... Et Jakob le fataliste de conclure : « C'est comme ça, la démocratie... » et sans doute, pensait-il, « la démocratie de marché ».


Et bien, Marco Valdo M.I. mon ami, voici de quoi méditer...et aussi de quoi nous inciter à poursuivre sans discontinuer notre tâche et tisser le linceul de ce vieux monde pragmatique, soucieux de valeur pratique, hygiéniste et cacochyme.



Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I et Lucien Lane,




À Leipzig, au fait, pourquoi pas ?
On se retrouverait Jakob, Leonore, Ute et moi
Jakob et Leonore étaient déjà là
On arrivait de Stralsund Ute et moi
Chez l'hygiéniste saxon à Wiederitzsch
Jakob, lui, était un enfant de Oetzsch
Né Suhl, dans un pauvre quartier de Germanie
Émigré en 1938, juste à temps
Pas de chance pour sa maman
Un Einzastzgruppe en Lituanie mit fin à sa vie.
Avec les Juifs à fourrure, dit Jakob, on n'avait rien à voir
Les échos du vieux temps sonnaient sur le battoir
L'arrière-cour où pendait la lessive
Les reliques de sa jeunesse : l'école, le gymnase...


Dès la fin de l'hiver, le désastre électoral préluda
Au démantèlement des années nonante
Leonore photographiait les visages d'épouvante
Le dépouillement de l'ancien pays commença
Dans le jardin de l'hygiéniste saxon peuplé
D'objets pragmatiquement récupérés
Pierres de cimetières, statues d'église
Ciel bleu, nuages gris, eau turquoise
Le Christ bénit les deux robots japonais
Qui nettoyaient la piscine pendant qu'on parlait
Sur les chaises en fonte, sur les chaises en pierre.
Souvenez-vous : de Leipzig, tout était parti hier.
Jakob se réveilla et dit :
C'est comme ça, la démocratie.

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