1952
– La Cruche de la Lande
Canzone française – La Cruche de la Lande – Marco Valdo M.I. – 2011
Histoires d'Allemagne 53
An
de Grass : 52
Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 –
l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
LANDE DE LUNEBOURG |
Mil
neuf cent cinquante-deux, encore une fois, c'est un narrateur, dont
on ignore le nom qui raconte cette histoire d'Allemagne. 1952,
souviens-toi, c'est l'année où l'Allemagne Fédérale est en
quelque sorte libérée de l'occupation des Alliés – USA, France
et Royaume-Uni. Mais comme à l'ordinaire, notre chanson ne se
préoccupe pas vraiment de ces événements d'actualité si éphémères
et qui passent tant au-dessus de la tête et de la vie des gens. De
ceux qu'on appelle chez nous, dans le parler populaire, les vraies
gens.
J'avais,
en effet, Marco Valdo M.I., mon ami, depuis fort longtemps remarqué
ce genre de paradoxe... Que les événements qui sont considérés
par ceux qui font bruisser les informations, qui les font ronfler
comme des moustiques, comme les plus importants, ces événements-là
sont sans véritable importance pour les gens... et pas seulement à
ce moment, mais même, et j'ajouterais volontiers surtout, à plus
longue échéance. En fait, ils sont l'écume des jours. La vie, la
vraie vie se déroule sous la surface du temps.
Donc,
pour en revenir à notre chanson, elle apporte un récit autrement
plus significatif... Celui de l'arrivée de la télévision dans la
vie quotidienne... Et là, il se passe quelque chose... En effet, la
vie quotidienne change... À tout le moins pour le narrateur... Tu
verras comment... et tu verras tout tracées ses évolutions. On peut
également – on doit – voir dans cette Histoire de Gundel non
seulement, une Histoire d'Allemagne, mais une parabole de l'Histoire
d'Allemagne, une allégorie. De l'Allemagne écrasée à l'Allemagne
reprospérant... Avec cette contraposition qui fait passer du refrain
négatif :
«
Engourdie à la lisière de la forêt
La
Cruche de la Lande périclite
Depuis
la mort de ma mère,
Notre
auberge n'intéresse plus mon père »
qu'on peut
considérer comme une description de l'état de l'Allemagne après la
guerre avec cette quasi-hibernation des hommes, à la reprise
marquée par le dernier refrain de la chanson... soudain, modifié
dans sa texture :
«
Les gens disent depuis Lunebourg à Eisenach
Venue
de Silésie au pays du grand Bach
Gundel
sait ce qu'elle veut
La
Cruche prospère à qui mieux mieux. ».
Quand
même, dit Lucien l'âne, parabole pour parabole, cette Gundel me
rappelle étrangement quelqu'une, laquelle, il me semble, est en
train de vouloir caporaliser l'Europe entière... et de la faire
marcher à son pas. Je dis bien « caporaliser » en pensant à
certain caporal à moustache... Il me semble que si la méthode a
changé, le but reste le même... et certaine suffisance et certaine
arrogance me remémorent d'autres temps. Moi qui ai quelque proximité
antique avec les gens et les paysages de Grèce, je ressens là comme
une sorte de colonisation en marche... Regarde ce qu'ils ont fait aux
Grecs et méfie-toi de ce qu'ils vont faire aux autres vraies gens du
continent... Il est plus que temps Marco Valdo M.I, mon ami, que nous
reprenions notre tâche essentielle de tisser le linceul de ce vieux
monde bégayant, arrogant, suffisant, caporalisant et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Engourdie
à la lisière de la forêt
La
Cruche de la Lande périclite
Depuis
la mort de ma mère,
Notre
auberge n'intéresse plus mon père
Noël
est pour bientôt
À
la vitrine des marchands de radio
Les
gens s'entassent malgré l'hiver
Pour
voir la merveille et son écran de verre
À
Lunebourg, on est nombreux devant la vitrine
À
zyeuter l'étrange lucarne à la tombée du jour
Un
certain Docteur Pleister fait son discours
Gundel
et moi, on regarde la speakerine
Elle
est là comme un reflet identique
Tremblant
sur le miroir magique
En
robe à fleurs et à ramages
Souriante,
timide et bien sage
Flottant
dans son brouillard de neige
Je
tombe les bras en croix dans le piège.
Engourdie
à la lisière de la forêt
La
Cruche de la Lande périclite
Depuis
la mort de ma mère,
Notre
auberge n'intéresse plus mon père
La
télévision, en ce temps-là,
Le
message du pape en noir et blanc,
C'était
du sérieux, on ne rigolait pas
Ils
ne faisaient pas encore l'amour, sur l'écran.
Même
pendant le match de foot Hamborn – Sankt-Pauli.
Et
la chanson « Prends ton maillot de bain ».
Gundel
et moi, on se tient par la main
Au
Nouvel-An, on est devenus de bons amis.
Réfugiée
de Silésie, elle travaille chez Salamander
J'ai
présenté Gundel à mon père
Il
approuvait mon choix
Je
lui ai présenté La Cruche de la Lande,
Elle
aimait l'endroit
La
lande et son ambiance allemande.
Engourdie
à la lisière de la forêt
La
Cruche de la Lande périclite
Depuis
la mort de ma mère,
Notre
auberge n'intéresse plus mon père
Une
maîtresse femme, ma Gundel
Elle
a secoué mon père et relancé la maison
D'un
grand écran Philips, elle a tiré une clientèle
D'habitués,
qui venaient pour le feuilleton.
Dans
notre Cruche repeuplée
Elle
servait les recettes du marmiton de la télévision.
Gundel,
de l'auberge a fait une pension
En
mangeant devant la cheminée
On
suit les péripéties de la famille Schölermann
Au
bord de la lande, on est tous des Schölermann.
Allemands
moyens, on prend du poids
Entretemps,
je suis devenu papa, trois fois
Gundel,
disent les gens, elle sait ce qu'elle veut
Moi,
je peigne mes cheveux.
Les
gens disent depuis Lunebourg à Eisenach
Venue
de Silésie au pays du grand Bach
Gundel
sait ce qu'elle veut