1953
– La Chasse aux Chars
Canzone française – La Chasse aux Chars – Marco Valdo M.I. – 2011
Histoires d'Allemagne 54
An
de Grass 53
Au
travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein
Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 –
l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Les ouvriers des chantiers de la Stalinallee
Ont tout bloqué, tout paralysé
Puis les chars sont arrivés
L'insurrection fut écrasée
|
Mil
neuf cent cinquante-trois, encore une fois Berlin... Un Berlin sorti
de la guerre, un Berlin qui se reconstruit. Mais comme tu le sais, un
Berlin divisé. L'affaire est racontée par le narrateur qui est
témoin visuel de l'insurrection ouvrière qui a éclaté le 16 juin
1953... Comme tu le verras dans la chanson du jour, dans cette
chanson d'Allemagne, il n'est pas sans intérêt de préciser qui est
le narrateur et où il se situe dans cette histoire précisément. Le
narrateur tel qu'il apparaît dans la chanson est Günter Grass
lui-même et pour s'en convaincre il suffit de se reporter à
l'Agfa-Box, roman finalement assez court où le même narrateur fait
sa propre biographie et celle de ses familles successives. Quant à
Anna la danseuse, venue de Suisse, elle fut également une de ses
compagnes. Ainsi en va-t-il pour les « témoins » des
événements ; quant à l'endroit d'où ils assistent à
certains moments de cette insurrection, c'est très exactement la
Potsdamer Platz, épicentre du séisme social et accessoirement,
politique, qui va opposer les ouvriers de Berlin aux couches
dirigeantes de la société. Il convient de préciser que les
ouvriers qui affrontèrent les chars russes à coups de pavés (et
autres objets utiles) avaient une ambition révolutionnaire pour
l'ensemble de l'Allemagne... Que le Mur de Berlin fut la suite de
leur insurrection est une évidence et que ce soit leur mouvement,
poursuivi comme en souterrain, et qui comme la taupe sous la terre
resurgit plus loin, qui finalement emporta les bureaucrates de la
Démocratique, tu le conçois et c'est ce que dit le narrateur :
« Quarante
ans plus tard encor,
Changement
de décor
Sous
nos yeux, à la danseuse et moi
Les
jeteurs de pierre ont mis les chars hors de combat. »
Donc,
si je résume : Günter Grass raconte en direct cette
insurrection révolutionnaire des ouvriers de Berlin et la recadre
dans le continuum de l'histoire... Mais peux-tu ajouter quelques
détails et par exemple, pourquoi les ouvriers déclenchent ce
mouvement....
Nous
sommes le 17 juin, les chars entrent dans le débat et l'armée
soviétique appelée au secours par les dirigeants du Parti
Communiste de la RDA intervient rudement. On tire au canon dans
Berlin et ensuite, le mouvement et la répression s'étendent
ailleurs en Allemagne de l'Est. La répression, rends-toi compte de
l'absurde de la chose – on se trouve en théorie dans un État qui
se veut socialiste, la répression donc frappe les ouvriers qui ont
déclenché les manifestations en raison de leur attachement au
socialisme, en raison de leur propre volonté de réellement
construire un vrai système socialiste. Et c'est précisément contre
des mesures de rentabilisation, d'accroissement des cadences de
travail, d'augmentation des prix que leur colère va exploser.
En
somme, ils subissaient ce que subissent aujourd'hui les Grecs.
Et
comme pour les Grecs, on va dévier leur insurrection et lui donner
un sens qu'elle n'a jamais eu... Ces ouvriers ne souhaitaient pas ni
à ce moment, ni plus tard quand ils mettront fin au régime des
bureaucrates, ils ne souhaitaient pas tomber de Charybde en Scylla,
basculer de l'imbécillité bureaucratique dans la misère
capitaliste. Mais j'anticipe, comme le fait la chanson elle-même,
sur les événements. Nous y reviendrons.
En
fait, pour dire les choses comme tu l'avais indiqué dans une autre
chanson que tu avais intitulée « L'Autre Côté du
Mur »[[http://www.antiwarsongs.org/canzone.php?id=7911&lang=it]],
« On
avait oublié que comme un mur
A deux côtés
Il faut abattre un côté, puis l'autre.
C'est la vie.
La dictature d'un parti a construit le mur
Les gens de là-bas l'ont fait tomber
Ils ont abattu un côté, on doit abattre l'autre
C'est la vie. »
A deux côtés
Il faut abattre un côté, puis l'autre.
C'est la vie.
La dictature d'un parti a construit le mur
Les gens de là-bas l'ont fait tomber
Ils ont abattu un côté, on doit abattre l'autre
C'est la vie. »
Et
cela, vois-tu Lucien l'âne mon ami, n'a pas encore eu lieu... Mais
les événements ont changé de dimensions... On doit regarder cette
histoire au niveau de l'Europe entière, qui est le nouveau
territoire, le nouvel empire à discipliner...
Oui,
oui, c'est toute l'Europe qui est maintenant le champ de manœuvres
et il va s'agir, il s'agit déjà de la mettre au pas de la loi
libérale : Arbeit macht frei ! Partout en Europe, sous la
houlette « européenne », sous le couvert de
réglementations communautaires, on impose la destruction des
services publics, la privatisation de tous les secteurs,
l'allongement de la durée du travail, le recul de l'âge de la
retraite, la réduction des droits et des allocations sociales, la
diminution des salaires, la précarisation des emplois, la
généralisation de l'interim... Par parenthèse, c'était le
programme de Mussolini dès les années 1920. Bref, on est en pleine
offensive des riches dans cette Guerre de Cent Mille Ans qu'ils font
aux pauvres pour renforcer leur domination, pour accroître leurs
profits, pour étendre leurs privilèges, pour mieux asseoir
l'exploitation, pour répandre la logique d'entreprise, pour imposer
leur main-mise sur tous les secteurs de la vie...Voilà ce vieux
monde dont il faut nous débarrasser... Tissons donc, Marco Valdo
M.I. mon ami, le linceul à ce vieux monde trop libéral pour être
honnête, radin, stupide et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
Berlin,
mil neuf cent cinquante-trois, dit le narrateur,
Anna
et moi, on avait pourtant du cœur.
Potsdamer
Platz sous la pluie
On
regardait flamber la Maison de la Patrie
Les
chars somnolaient dans la foule ouvrière
Les
fantassins russes creusaient la frontière
Mais,
c'est sûr, on a vu ce qu'on a vu
On
a vu ce qui est advenu
On
était là, un peu à l'écart,
Seulement
pour voir
On
a tout vu sans broncher
Tout
ce qui s'est passé
Sur
le moment, on ne comprenait pas
Et
puis, Anna la danseuse et moi
Moi,
le poète compulsif, le sculpteur,
Nous
deux, témoins de la mâle heure
On
n'était pas des ouvriers en colère
On
ne chassait pas les chars à coups de pierre
Mais,
c'est sûr, on a vu ce qu'on a vu
On
a vu ce qui est advenu
On
était là, un peu à l'écart,
Seulement
pour voir
On
a tout vu sans broncher
Tout
ce qui s'est passé
Les
ouvriers des chantiers de la Stalinallee
Ont
tout bloqué, tout paralysé
Puis
les chars sont arrivés
L'insurrection
fut écrasée
Les
morts de l'Est, les morts de l'Est
Les
gens de l'Est, les petites gens de l'Est
Ceux
des usines, ceux des quartiers
Par
dizaines fusillés, lynchés, exécutés
Des
milliers et des milliers
À
Bautzen, au pénitencier
Un
métro à l'heure de pointe... Plein
Rempli
à ras bord de plébéiens
Berlin,
mil neuf cent soixante-trois
Anna
la danseuse et moi
Mais,
c'est sûr, on a vu ce qu'on a vu
On
a vu ce qui est advenu
On
était là, un peu à l'écart,
Seulement
pour voir
On
a tout vu sans broncher
Tout
ce qui s'est passé
On
était là. Au théâtre, cette fois
Coriolan,
Shakespeare et moi
Les
plébéiens répétaient l'insurrection
Depuis,
sur les autobahns de la consommation.
L'insurrection
ouvrière en fête nationale maquillée
Tue
et tue encore chaque année
Quarante
ans plus tard encor,
Changement
de décor
Les
jeteurs de pierre ont mis les chars hors de combat.
L'histoire
est surprenante parfois...
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