1956
– Quatre hommes dans un champ
Canzone française – Quatre hommes dans un champ – Marco Valdo M.I. – 2011
Histoires d'Allemagne 57
An
de
Grass : 56
Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 –
l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 –
l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
« Nun, o Unsterblichkeit, bist du ganz mein » (Maintenant, ô immortalité, tu es toute à moi !) Heinrich von Kleist |
Mil
neuf cent cinquante-six, il y avait là quatre hommes dans un
champ... Enfin, pas tout-à-fait... C'était plutôt, un champ
funéraire, c'est un cimetière. Voilà où nous entraîne le
narrateur, cette fois.
Mais
enfin, Marco Valdo M.I., mon ami, dit Lucien l'âne en se hérissant
tout au long de sa colonne vertébrale... Tu ne vas quand même pas
faire une chanson dans un cimetière et pourquoi pas, y décliner une
série de morts...
C'est
pourtant de cela qu'il s'agit. L'histoire nous est narrée par le
seul survivant à cette étrange rencontre au bord du petit Wannsee,
ce lac berlinois. En ce mois de mars, le vent qui souffle est
glacial. Notre narrateur, étudiant en langue germanique, poète à
ses heures, est là, venu comme tant d'autres se recueillir sur la
tombe d'un poète depuis longtemps disparu : Heinrich von
Kleist, lequel s'était suicidé après avoir tué – en un pacte
d'amour et de mort, sa compagne Henriette Vogel. Mais au moment où
il arrive, il s'arrête et se tient un peu à l'écart. D'autres sont
déjà présents devant la tombe du poète... Deux hommes qu'il n'a
aucune peine à reconnaître : ce sont deux écrivains et non
des moindres – Gottfried Benn, qui chanta les louanges du
national-socialisme avant un peu plus tard de le dénoncer – c'est,
comme dit la canzone, celui qui vient de l'Ouest et l'autre, n'est
rien moins que Bertolt Brecht, qui chanta les louanges de Staline,
avant lui aussi de le dénoncer – c'est celui venu de l'Est. L'Est
et l'Ouest désignant ici les deux parties de la ville de Berlin,
mais aussi les deux Allemagnes, les deux mondes... Ainsi donc, comme
tu le vois, toi, mon ami l'âne, Lucien l'âne d'or, toi aussi,
enfant de poésie, il y a là réunis quatre hommes dans un champ..
Je
commence à comprendre, dit l'âne Lucien en redressant la tête et
en dressant ses oreilles si noires. Je commence à voir où nous mène
cette mise en scène. Car tous sont me semble-t-il gens de poésie
autant que gens de théâtre.
En
effet, la chanson parle de ça aussi. Mais pas seulement, elle évoque
aussi certaine réunion de 1942 où sur les rives du même Wannsee où
fut décidée la solution finale... L'élimination du peuple juif, la
liquidation des tous les Juifs... Mais je te laisse, à toi et aux
autres auditeurs, le soin de décrypter tout ce que dit encore cette
chanson... Comme d'ailleurs, il faudra bien un jour décrypter tout
ce que disent toutes ces Histoires d'Allemagne et crois-moi, ce sera
un foutu travail. Par exemple, je t'indique, car ce n'est pas le seul
endroit où elle apparaît, que la rose blanche est le symbole du
peuple juif lui-même...
En
somme, avec toutes tes canzones et tes histoires, on est en pleine
polysémie...
En
effet, mais c'est le cas de toute chanson dès qu'elle atteint à la
poésie. Cela dit, elle évoque à peine, mais avec d'autant plus de
force qu'elle le fait en termes négatifs, la guerre froide couvant
ses bombes et comme je te l'ai déjà dit, la division tragique du
monde... Épisode, elle aussi cette guerre froide, de cette Guerre de
Cent Mille Ans que les riches et les puissants mènent entre eux afin
d'accroître leur pouvoir, de multiplier leurs richesses, de pouvoir
exploiter le monde à leur profit... et tous les régimes leur sont
bons pourvu qu'ils en tirent cette ivresse.
Alors,
alors, il ne nous reste plus qu'à tisser le linceul de ce vieux
monde déchiré, ravagé par l'avidité, étouffé par la volonté de
puissance et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
Ils
étaient quatre hommes dans un champ
Quatre
écrivains et tous Allemands
Venu
de l'Est, un homme de soixante ans
Venu
de l'Ouest, un homme de septante ans
Contemplaient
la pierre sous les pétales blancs
Le
quatrième, en retrait, un poète-étudiant.
Abandonnant
une lettre en guise de testament.
Le
poète dramaturge, fredonne doucement
Nun,
o Unsterblichkeit, bist du ganz mein
Seul,
dernière compagnie, le néant nous fait face
Et
les litanies de la mort et la rose blanche bien en place
Et
Henriette et Heinrich, les deux amants
Et
le double suicide exécuté de sa belle main
Au
petit Wannsee, plus d'un siècle auparavant
Les
deux ombres de géant
L'homme
de soixante ans, l'homme de septante ans
Les
rejoindront dans si peu de temps
L'année-même
de ce printemps
L'un
venait de l'Ouest, un chauve aux allures de bouddha
L'autre
venait de l'Est, maigre, penché et malade déjà
À
Berlin, on faisait des rencontres comme ça
Moi,
le petit étudiant, immobile dans ce froid.
Ils
causaient, leurs voix portaient, je les écoutais
Ils
se citaient mutuellement.
Donnant
un démenti éclatant
À
l'inimitié réciproque dont on les affublait.
Rien
sur la politique, rien sur le réarmement
À
l'été, tous deux moururent successivement.
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