1984
– Huit morts au mètre-carré
Canzone
française – Huit
morts au mètre-carré–
Marco Valdo M.I. – 2012
Histoires
d'Allemagne 85
An
de Grass 84
Au travers du kaléidoscope de Günter Grass : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Au travers du kaléidoscope de Günter Grass : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Huit
morts au mètre-carré... Voilà bien une façon bizarre de mesurer
les choses. Que mesures-tu ainsi, Marco Valdo M.I. mon ami ?
N'était-ce pas un champ de bataille ? N'était-ce pas un lieu de
guerre ? Ne sont-ce pas des hommes ?
Évidemment
que c'est tout cela. Mais ce n'est pas moi qui mesure, c'est la
réalité... Notre narrateur nous emmène à Verdun cette année-là,
en mil neuf cent quatre-vingt-quatre. Le Chancelier allemand, du
moins celui de la Fédérale, l'énorme monsieur Kohl...
Khôl,
tiens, on dirait le nom d'un mascara...
Voyons,
Lucien l'âne mon ami, on ne se joue pas comme ça du nom d'un Homme
d'État...
Certes,
Marco Valdo M.I. mon ami, mais le narrateur ne fait-il pas pareil
quand il parodie la chanson enfantine des éléphants, celle qui dit
:
Un
éléphant se balançait, se balançait
Sur
une assiette de faïence
Et
comme cela l'amusait, oui, l'amusait
Avec
un autre il recommence.
Deux
éléphants...
Évidemment.
Cependant, cette Histoire d'Allemagne traite d'un immense massacre...
Plusieurs centaines de milliers de morts sur trente-cinq
kilomètres-carrés. On en retrouve encore près de cent ans après ;
on retrouve même encore des obus, des armes, des mines... Et donc,
notre narrateur est comme il est habituel dans ces Histoires
d'Allemagne, une personne allemande. Cette fois, il accompagne le
Chancelier Kohl dans la visite historique qu'il fit au site de cette
bataille de Verdun. Une bataille terrible qui dura, dura... dura le
temps d'une gestation... Près de dix mois... Visite au cours de
laquelle le chef du gouvernement allemand rencontra le président,
Mitterrand, chef du gouvernement français. Saluts et Gloire à nos
morts ! Lesquels ? Et tout ce tralala patriotique pour des gens qui
se seraient bien passé de finir à la boucherie. Mais notre
narrateur ne s'arrête pas là... Il constate plusieurs choses qu'on
peut résumer sous le terme cru d'attraction touristique. Voilà,
reflet de la société des loisirs et de la consommation de masse,
Verdun est pour une bonne part devenu un lieu où défilent les
touristes – par cars entiers, comme dans n'importe quel lieu
phagocyté, parasité par le commerce : ainsi en va-t-il du
Parthénon, du Colisée ou de Disney World. Pour en revenir à
Verdun, on y visite les champs couverts de morts... et l'ossuaire en
forme d'obus où l'on voit – au travers de vitrines – les crânes
et les os de plus de cent mille soldats français...
Ossuaire et tour obus Verdun |
Comme
s'ils ne pouvaient pas laisser ces morts tranquilles, il faut encore
les exploiter. C'est assez ignoble, dit Lucien l'âne en baissant le
crâne rien que d'y penser... Je n'ose imaginer ce qui doit se passer
dans certaines têtes...
Et
tu verras aussi, dit Marco Valdo M.I. d'un ton informatif, qu'au delà
des discours de réconciliation, notre narrateur pointe des
différences de traitement en ce qui concerne les massacrés : les
uns sont mieux traités que les autres. La tombe française a droit à
un rosier... La tombe allemande a rien. Certes, c'est anecdotique...
Tout comme cette histoire de tranchée où en 1918, à la fin des
combats, les gars (des survivants) se sont salués d'un côté à
l'autre : « Allez... Salut ! À la prochaine ! ». Sans doute
anecdotique, mais un peu plus de vingt ans après, on remettait ça.
Fâcheuse
habitude que la guerre militaire, dit Lucien l'âne pensif, mais ce
n'est jamais que le prolongement de la guerre civile souterraine,
permanente, sournoise que les riches font aux pauvres depuis tant de
temps... la Guerre de Cent Mille Ans.
plus de vingt millions d'obus sur ce petit coin de terre... |
Imagine,
mon ami Lucien l'âne... Imagine à Verdun, combien de canons,
combien d'obus... Et des gros, des très gros. On parle de plus de
vingt millions d'obus sur ce petit coin de terre... La Cote 304,
ainsi nommée car au départ, c'était une belle colline haute de 304
mètres, a fini la bataille à 297 mètres... Même les collines
étaient écrasées... Bon, il y eût 5000 canons, vingt millions
d'obus... On fait vite un calcul et on tire deux conclusions. Un : ce
sont eux (les obus et les canons) qui ont gagné la bataille, c'est
le matériel qui l'a emporté – les humains se terraient où ils le
pouvaient sous une telle pluie d'acier, de phosphore et de phosgène
[
http://fr.wikipedia.org/wiki/Gaz_de_combats_de_la_Première_Guerre_mondiale
et http://multiple.kcvs.ca/chemical_weapons/4phosphene.html] et donc,
deux : l'industrie d'armement, les aciéristes (Krupp, par exemple –
celui-là même qui financera la venue au pouvoir d'Adolf Moustache ;
Schneider, par exemple... les fameux marchands de canons – voir la
chanson de Boris Vian [[317]] ) en ont tiré des profits colossaux.
Et
si tu veux mon avis, ça continue... Continuons donc notre tâche
sans désemparer et tissons le suaire de ce vieux monde toujours en
guerre (de cent mille ans), militariste, aciériste, touristique,
mercantile et cacochyme. (Heureusement !)
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Devant
l'ossuaire et sa tour-obus
Des
autocars débarquent les tribus
Tibias
et crânes sont tristes
Verdun !
Attention ! Touristes !
Un
homme d'État saluait, oui saluait
Sur
un morceau de terre de France
Et
comme cela l'émouvait, oui l'émouvait
Avec
un autre, il recommence
Deux
hommes d'État se saluaient, oui se saluaient
Sur
un morceau de terre de France
Et
comme cela les émouvait, les émouvait
Un
peu plus loin, ils recommencent
Le
Président et le Chancelier
Le
Sphynx et la Masse
Prêts
à méditer
Face
à face
Le
Président à Douaumont : Gloire à nos morts !
N'est-il
pas temps de réconcilier les deux bords ?
Le
Chancelier à Consenvoye : Gloire à nos morts !
Attention
dans ces coins-là, il y a des mines encore.
Les
croix blanches françaises et leurs rosiers
Les
croix noires allemandes sans fleurs
Malgré
la poignée de mains des conciliateurs
Continuent
encore à s'affronter
On
compta dans chaque camp
Les
cadavres par centaines de milliers
Ils
étaient Français, ils étaient Allemands
Au
moins huit morts au mètre-carré
Un
homme d'État saluait, oui saluait
Sur
un morceau de terre de France
Et
comme cela l'émouvait, oui l'émouvait
Avec
un autre, il recommence
Deux
hommes d'État se saluaient, oui se saluaient
Sur
un morceau de terre de France
Et
comme cela les émouvait, les émouvait
Un
peu plus loin, ils recommencent
Devant
l'ossuaire et sa tour-obus
Des
autocars débarquent les tribus
Verdun !
Attention ! Touristes !
Tibias
et crânes sont tristes