1986
– Césium oblige
Canzone
française – Césium oblige –
Marco Valdo M.I. – 2012
Histoires
d'Allemagne 87
An
de Grass 86
Au travers du kaléidoscope de Günter Grass : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Au travers du kaléidoscope de Günter Grass : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Wackersdorf festival |
Césium
oblige... En voilà un titre, dit Lucien l'âne en se raidissant de
tout son poil. On dirait un machin atomique, on se croirait, je ne
sais pas moi, dans un cours de physique, dans un laboratoire ou dans
un centre de recherches...
Mais
c'est précisément de ça qu'il s'agit. Enfin, presque. De ça et de
concerts, de méga-concerts de protestation contre le retraitement
nucléaire, contre le centre et l'usine qu'on voulait installer à
Wackersdorf dans le Haut-Palatinat, quelque part en Bavière.
Forcément en Bavière, compte tenu de l'énorme poids du sieur
Franz-Josef Strauss. Je parle de son poids politique évidemment...
Il avait beau être repoussé dans sa Bavière, il n'en restait pas
moins un des hommes les plus influents de l'Allemagne... et pas
seulement Fédérale, comme on l'a vu précédemment.
Ah,
Franz-Josef, encore lui... Rien d'étonnant avec de tels prénoms
qu'il se soit pris pour un empereur...
L'histoire,
car il s'agit d'une de nos Histoires d'Allemagne, celle de l'année
1986, cette histoire est contée par un personnage, qui pourrait
bien, cette fois, être Günter Grass lui-même. Car le raconteur a
l'air de s'y connaître en champignons... Mais ce n'est pas lui-même,
car ce grand-père militant anti-nucléaire au temps de Tchernobyl
(là, ce pourrait encore être lui qui sectionne les fils des
clôtures à la cisaille ... Il avait fait la guerre tout de même)
se trouve dans une maison de retraite... Ce qui n'est – à ma
connaissance – pas le cas de notre écrivain. Pour en revenir à
notre Histoire et à Wackersdorf, on peut résumer l'affaire ainsi :
Franz-Josef Strauss avait combiné avec les électriciens nucléaires
d'Allemagne (on parle bien évidemment des patrons de l'industrie
nucléaire) d'installer quelque part en Bavière une usine de
retraitement des déchets radioactifs. Mais le secret fut éventé et
sous une impulsion écologiste, une résistance se mit en place et la
protestation chercha des modes (pacifiques) d'intervention. C'est là
que l'on vit arriver des foules de gens qui, d'année en année plus
nombreux, campèrent pendant l'été autour du chantier de
construction de l'usine. Pour attirer du monde et distraire les
militants, on organisa des concerts avec des groupes musicaux et des
artistes eux-mêmes protestataires... Cela fit boule de neige et
l'année de Tchernobyl, ils étaient cent mille à Wackersdorf.
(http://vimeo.com/26976026)
Je
sais, je sais, je me souviens moi aussi, je suis passé par là,
cette année-là. Il y avait une de ces ambiances... Je ne te dis
pas..., dit Lucien l'âne en balançant de tout son poitrail. On
chantait Lisa, Denn Sie Brauchen Keinen Führer, Nemm Mich Met et
plein d’autres choses. Mais il y avait aussi de l'action, de la
castagne... les flics étaient d'une virulence ; bref, ça cognait.
Ça
cognait dur, en effet. Comme dans tous les grands mouvements où sont
mis en cause de grands investissements, où grouillent les
affairistes... Il y a des commissions qui risquent de se perdre, il y
a beaucoup, beaucoup d'argent en jeu... Et des gens puissants
vivement intéressés... Alors, pour défendre tout ça, on envoie
les chiens...
Oh,
je déteste ces chiens-là, dit Lucien l'âne en montrant les dents.
Mais dis-moi la suite...
La
suite de l'affaire... La bataille dura encore deux ans... Jusqu'à la
mort de Franz-Josef Strauss où tout s'arrêta subitement. En
Allemagne, plus de retraitement... On fit l'usine en France... en
bord de mer. Il faut de l'eau, beaucoup d'eau... Depuis, à
Wackersdorf, on a quand même installé un centre scientifique...
Mais plus nucléaire, apparemment.
Vois-tu,
Marco Valdo M.I., moi, dans tout ça, ce qui me révulse, c'est qu'il
y a toujours derrière ces intentions généreuses de construire de
grandes choses : des centres de retraitement nucléaire, des
centrales atomiques, des tunnels pharaoniques, des gares
titanesques... de sordides intérêts qu'on fait primer sur le bien
public et au détriment et aux frais des populations. Et pas
seulement en Allemagne... Et c'était déjà le cas à Athènes du
temps d'Aristophane où Criton fournisseur de bois poussait la
Démocratie au combat maritime... à la construction de trières, de
trières, de trières... pour lesquelles, en effet, il fallut trouver
du bois, du bois, du bois... C'est ce que déjà à cette époque-là,
on appelait la démocratie. Moi, rappelle-toi, j'ai vu tout ça en
passant de mon petit pas, tranquillement. Ainsi, j'ai idée que je
sais pourquoi, et je le savais déjà au temps de Socrate avec qui
j'en ai parlé (si, si, on dialoguait déjà en ce temps-là), je
sais donc pourquoi il nous faut tisser le linceul de ce vieux monde
nucléaire, atomique, prébendier, corrompu, répressif, démentiel
et cacochyme.
Heureusement
!
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Sans
se soucier de rien, ni de personne sans se faire de bile
Le
nuage baladeur venu de Tchernobyl
Césium
oblige, voguait par dessus les frontières
Et
ne s'arrêta qu'arrivé au Rhin, passé la Bavière
Stop !
Secret défense !
Il
ne pénétra pas dans le ciel de France
Mais
qui donc a pu croire çà ?
Hors
de France, pas un chat !
Il
ne faut pas jouer avec le feu
Grand-mère
le criait à la ronde
Un
coût faramineux
Et
pas perdus pour tout le monde
Mille
milliards de dollars
Mille
milliards, mille milliards
Un
quart de siècle plus tard
C'est
toujours une fameuse histoire
Nous,
cette année-là dans le Haut-Palatinat,
On
regardait le nuage avec un certain émoi
En
plus, on nous annonçait le retraitement
Une
belle usine, en Bavière, évidemment
Franz-Josef
Strauss régnant
Mais
à Amberg, de ce temps
Le
juge Wilhelm était contre le retraitement
Face
à Wackersdorf, on planta notre camp.
On
se battit comme des lions
Les
flics nous arrosaient de poison
Plutonium,
piège à cons !
Le
nuage salopait nos champignons
Le
bolet bai, le bolet orangé, le bolet à chair jaune,
Le
lactaire délicieux, la petite chanterelle, la pauvre girolle
Pour
le meilleur, pour notre cèpe, ce fut bien pis.
Le
coprin chevelu et l'armillaire n'ont rien senti
La
mort de Franz-Josef, deux ans plus tard,
Envoya
tout au rancart.
L'atome
s'est retraité en France
À
Wackersdorf, plus de concerts, plus de résistance
Plus
aucun des cent mille manifestants
Ma
famille et mes petits-enfants
Ne
vont plus aux champignons, on les comprend
C'est
ainsi que la tradition fout le camp.
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