1992
– Le Pasteur, l'État disparu et la Conscience
Canzone
française – Le
Pasteur, l'État disparu et la Conscience
–
Marco Valdo M.I. – 2013
Histoires
d'Allemagne 91
An
de Grass 92
Au travers du kaléidoscope de Günter Grass : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Au travers du kaléidoscope de Günter Grass : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Maison de Luther |
Mon
cher ami Marco Valdo M.I., dit Lucien l'âne tout pensif en plissant
le front juste entre les oreilles qui pendent et se redressent comme
en hésitant entre le bas et le haut, je me demande toujours où tu
vas chercher le titre de tes canzones. L'autre jour, tu avais même
un titre en latin... Langue, comme tu le sais, qui m'est des plus
familières ayant vécu les grandes heures de la République et de
l'Empire... Je n'en suis pas pour autant un Asinus portans mysteria.
Certes, tu me diras que c'était une traduction et que la citation de
Tacite était déjà le titre original et que dès lors, ce titre
étrange ne t'était pas imputable. Mais celui-ci, comme bien
d'autres auparavant, c'est toi qui l'as choisi...
C'est
bien ainsi et c'est bien ainsi … Je veux dire que c'est bien ainsi
que le titre a été choisi et qu'il est bien qu'il en soit ainsi...
Avec
tout ça, tu n'as toujours rien dit, tu n'as toujours pas répondu à
ma question...
Que
tu crois, que tu dis... Mais il en va tout autrement et je m'en vais
te le montrer. Le titre, dit-on couramment et même, j'en connais qui
l’enseignent – et je te rassure, ce n'est pas moi – donc, le
titre doit répondre à certains critères et le plus généralement,
il doit indiquer ce dont parle le texte ainsi titré. Et ce titre à
tes yeux étrange le sera bien moins quand je t'aurai expliqué le
pourquoi du comment et même sans cela, il te suffirait de lire ou
simplement, de parcourir la canzone. Mais je t'explique : Le Pasteur,
l'État disparu et la Conscience. Tu te souviendras que nos histoires
d'Allemagne sont généralement contées par un narrateur ou une
narratrice. C'est le cas ici aussi et ce narrateur, précisément,
est un pasteur, sans doute un représentant de l'Église luthérienne.
Peut-être même, habite-t-il dans la maison où vécut Luther ; son
récit ne le dit pas. Mais en tous cas, dans sa ville de Wittemberg
en Saxe, je veux dire la ville de Luther ; d'ailleurs, elle s'appelle
de son nom complet Wittenberg-Lutherstadt.
Voilà
qui est clair, dit Lucien l'âne. On a donc un narrateur, c'est le
pasteur. Mais le reste ? Cet État disparu, par exemple.
Eh
bien, voici comment s'explique cet étrange État disparu, qui
soudain apparaît comme surgi du néant. Notre pasteur de Wittemberg
est appelé à Berlin par des gens qui quelques temps auparavant,
vivaient dans la République Démocratique, laquelle – comme tu le
sais – a brutalement disparu du paysage en créant au passage
d'énormes problèmes de conscience à foule de gens et même, en
crée encore, si l'on veut considérer les résultats catastrophiques
sur le plan social de la chute du mur [[7911]] et le séisme que vit
actuellement l'Europe tout entière. Il suffit de regarder ce qu'ils
ont fait aux Grecs, aux Espagnols, aux Portugais... L'état de
l'Italie, ce qui se passe à Chypre, en Slovénie... Et ce qu'ils
entendent bien nous faire...
Et
ce n'est pas fini, dit Lucien l'âne qui en a vu d'autres. Et tout ça
à force de poursuivre le rêve d'Otto.
C'est
donc elle, la Démocratique qui est cet État disparu. Remarque, et
je dis ça en passant, remarque que l'État disparu n'a pas été
perdu pour tout le monde... Il y a des fortunes gigantesques qui se
sont nourries de ses restes... et ce parasitisme est boulimique et
s'étend, s'étend... Il avale tout sur son passage. Après avoir
fait disparaître en un tour de passe-passe un État complet,
pourquoi n'en ferait-il pas disparaître d'autres pour les absorber ?
En fait, il a pris goût aux tours de passe-passe et aux bénéfices
qu'il en retire et de plus, il en a besoin pour continuer à nourrir
sa croissance démentielle.
C'est
bien ce que je vise en parlant du rêve d'Otto... Cela dit, pour moi,
un État ou un autre... Ce qui me préoccupe ce sont les gens... et
ce qu'on leur fait subir.
Quant
à la conscience...
Oui,
la conscience, je voudrais bien que tu m'expliques ce que c'est, dit
l'âne Lucien en relevant la tête d'un geste du cou.
Oh,
dans ce cas-ci, ce n'est pas bien difficile. La conscience, c'est en
quelque sorte la boussole qui indique à l'homme ce qui est bien, ce
qu'il est décent de faire ou de ne pas faire, le moyen de garder sa
dignité... Ainsi, au troisième terme du titre, on en revient à
Luther et à ce sursaut de conscience qui l'avait conduit à dénoncer
la vente des indulgences par les papes et leurs sous-fifres pour
financer les besoins énormes des prélats et de l'Église Catholique
Apostolique et Romaine – il faut le préciser, car il y a tant
d'églises de par le monde et celle-là n'en est qu'une parmi tant.
C'est au nom de la conscience, vois-tu Lucien l'âne mon ami, que
Luther avait mis en cause la toute-puissance romaine et avait bien
failli la faire basculer. Ainsi en quelques mots, voici un des grands
épisodes de la Guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux
pauvres, sauf que, sauf que comme tu le sais, Luther finalement a
changé de camp, moyennant – à son tour – certains
accommodements avec Dieu, qui est le patron des patrons, le maître
des maîtres, le capo de tutti i capi... La figure tutélaire
icônique. Mais néanmoins, le pasteur – dans notre histoire –
fait figure de « spécialiste de la conscience ». Note que ses
interventions portent sur deux questions différentes : dans le
premier couplet, il s'agit du « drame de conscience » qui surgit
face à la Stasi – la police politique du régime de l'État
disparu, qui avait réussi à mouiller tout le monde et son chien...
ou presque – ici, le mari Karl espionnait sa femme Anastasie
[[42010]] ; dans le dernier couplet, il s'agit de juger en conscience
des ravages que fait la réalisation du rêve d'Otto et les rapines
qui en sont à la fois, l'origine et de développement.
Encore
faut-il avoir une conscience, dit Lucien l'âne. Je commence à
croire, Marco Valdo M.I. mon ami, que tes histoires d'Allemagne, que
je pensais être des historiettes, des anecdotes, ont une portée qui
dépasse leurs narrateurs... Mais cela ne doit pas nous empêcher de
poursuivre inlassablement notre tâche terre à terre et de tisser
avec obstination le linceul de ce vieux monde boulimique, avide,
parasite, dément et cacochyme.
Heureusement
!
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
J'ai
quitté la ville de Luther, le soir venu
Pour
aller à leur rendez-vous dans l'État disparu
Pourquoi
ces gens ont-ils appelé un pasteur ?
Et
pourquoi moi, qui suis pasteur
De
Wittenberg-Lutherstadt, réminiscence
Des
condamnations du commerce des indulgences ?
Évidemment,
à ce moment-là, ça avait du sens
D'interroger
un spécialiste de la conscience.
Comment
s'appelle-t-il, comment s'appelle-t-elle ?
Je
ne le dirai pas. Par conscience professionnelle.
Déontologie,
discrétion, et cetera.
Le
cas n'est pas banal, en tous cas
De,
disons : Karl et Anastasie
D'une
femme espionnée par son mari
Pour
le compte de la Stasi
Ah,
la Stasi, d'ennui m'anesthésie !
Mais
la Stasi n'est plus et je suis là
Allez
savoir pourquoi ? Oui, pour quoi ?
Quel
intérêt à rabâcher tout ça ?
Accuser
l'État disparu et pas celui qui est là.
Je
suis de la ville de Luther, ange déchu
Je
me souviens de l'État disparu
Pourquoi
ces gens ont-ils appelé un pasteur ?
Mais
pourquoi moi, qui suis pasteur
De
Wittenberg-Lutherstadt, réminiscence
Des
condamnations du commerce des indulgences?
Évidemment,
aujourd'hui, ça a du sens
D'interroger
un spécialiste de la conscience.
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