samedi 28 décembre 2013

1992 - Le Pasteur, l'État disparu et la Conscience

1992 – Le Pasteur, l'État disparu et la Conscience

Canzone française – Le Pasteur, l'État disparu et la Conscience – Marco Valdo M.I. – 2013
Histoires d'Allemagne 91
An de Grass 92

Au travers du kaléidoscope de Günter Grass : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.


Maison de Luther 




Mon cher ami Marco Valdo M.I., dit Lucien l'âne tout pensif en plissant le front juste entre les oreilles qui pendent et se redressent comme en hésitant entre le bas et le haut, je me demande toujours où tu vas chercher le titre de tes canzones. L'autre jour, tu avais même un titre en latin... Langue, comme tu le sais, qui m'est des plus familières ayant vécu les grandes heures de la République et de l'Empire... Je n'en suis pas pour autant un Asinus portans mysteria. Certes, tu me diras que c'était une traduction et que la citation de Tacite était déjà le titre original et que dès lors, ce titre étrange ne t'était pas imputable. Mais celui-ci, comme bien d'autres auparavant, c'est toi qui l'as choisi...


C'est bien ainsi et c'est bien ainsi … Je veux dire que c'est bien ainsi que le titre a été choisi et qu'il est bien qu'il en soit ainsi...

Avec tout ça, tu n'as toujours rien dit, tu n'as toujours pas répondu à ma question...


Que tu crois, que tu dis... Mais il en va tout autrement et je m'en vais te le montrer. Le titre, dit-on couramment et même, j'en connais qui l’enseignent – et je te rassure, ce n'est pas moi – donc, le titre doit répondre à certains critères et le plus généralement, il doit indiquer ce dont parle le texte ainsi titré. Et ce titre à tes yeux étrange le sera bien moins quand je t'aurai expliqué le pourquoi du comment et même sans cela, il te suffirait de lire ou simplement, de parcourir la canzone. Mais je t'explique : Le Pasteur, l'État disparu et la Conscience. Tu te souviendras que nos histoires d'Allemagne sont généralement contées par un narrateur ou une narratrice. C'est le cas ici aussi et ce narrateur, précisément, est un pasteur, sans doute un représentant de l'Église luthérienne. Peut-être même, habite-t-il dans la maison où vécut Luther ; son récit ne le dit pas. Mais en tous cas, dans sa ville de Wittemberg en Saxe, je veux dire la ville de Luther ; d'ailleurs, elle s'appelle de son nom complet Wittenberg-Lutherstadt.


Voilà qui est clair, dit Lucien l'âne. On a donc un narrateur, c'est le pasteur. Mais le reste ? Cet État disparu, par exemple.


Eh bien, voici comment s'explique cet étrange État disparu, qui soudain apparaît comme surgi du néant. Notre pasteur de Wittemberg est appelé à Berlin par des gens qui quelques temps auparavant, vivaient dans la République Démocratique, laquelle – comme tu le sais – a brutalement disparu du paysage en créant au passage d'énormes problèmes de conscience à foule de gens et même, en crée encore, si l'on veut considérer les résultats catastrophiques sur le plan social de la chute du mur [[7911]] et le séisme que vit actuellement l'Europe tout entière. Il suffit de regarder ce qu'ils ont fait aux Grecs, aux Espagnols, aux Portugais... L'état de l'Italie, ce qui se passe à Chypre, en Slovénie... Et ce qu'ils entendent bien nous faire...


Et ce n'est pas fini, dit Lucien l'âne qui en a vu d'autres. Et tout ça à force de poursuivre le rêve d'Otto.


C'est donc elle, la Démocratique qui est cet État disparu. Remarque, et je dis ça en passant, remarque que l'État disparu n'a pas été perdu pour tout le monde... Il y a des fortunes gigantesques qui se sont nourries de ses restes... et ce parasitisme est boulimique et s'étend, s'étend... Il avale tout sur son passage. Après avoir fait disparaître en un tour de passe-passe un État complet, pourquoi n'en ferait-il pas disparaître d'autres pour les absorber ? En fait, il a pris goût aux tours de passe-passe et aux bénéfices qu'il en retire et de plus, il en a besoin pour continuer à nourrir sa croissance démentielle.


C'est bien ce que je vise en parlant du rêve d'Otto... Cela dit, pour moi, un État ou un autre... Ce qui me préoccupe ce sont les gens... et ce qu'on leur fait subir.


Quant à la conscience...


Oui, la conscience, je voudrais bien que tu m'expliques ce que c'est, dit l'âne Lucien en relevant la tête d'un geste du cou.


Oh, dans ce cas-ci, ce n'est pas bien difficile. La conscience, c'est en quelque sorte la boussole qui indique à l'homme ce qui est bien, ce qu'il est décent de faire ou de ne pas faire, le moyen de garder sa dignité... Ainsi, au troisième terme du titre, on en revient à Luther et à ce sursaut de conscience qui l'avait conduit à dénoncer la vente des indulgences par les papes et leurs sous-fifres pour financer les besoins énormes des prélats et de l'Église Catholique Apostolique et Romaine – il faut le préciser, car il y a tant d'églises de par le monde et celle-là n'en est qu'une parmi tant. C'est au nom de la conscience, vois-tu Lucien l'âne mon ami, que Luther avait mis en cause la toute-puissance romaine et avait bien failli la faire basculer. Ainsi en quelques mots, voici un des grands épisodes de la Guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres, sauf que, sauf que comme tu le sais, Luther finalement a changé de camp, moyennant – à son tour – certains accommodements avec Dieu, qui est le patron des patrons, le maître des maîtres, le capo de tutti i capi... La figure tutélaire icônique. Mais néanmoins, le pasteur – dans notre histoire – fait figure de « spécialiste de la conscience ». Note que ses interventions portent sur deux questions différentes : dans le premier couplet, il s'agit du « drame de conscience » qui surgit face à la Stasi – la police politique du régime de l'État disparu, qui avait réussi à mouiller tout le monde et son chien... ou presque – ici, le mari Karl espionnait sa femme Anastasie [[42010]] ; dans le dernier couplet, il s'agit de juger en conscience des ravages que fait la réalisation du rêve d'Otto et les rapines qui en sont à la fois, l'origine et de développement.


Encore faut-il avoir une conscience, dit Lucien l'âne. Je commence à croire, Marco Valdo M.I. mon ami, que tes histoires d'Allemagne, que je pensais être des historiettes, des anecdotes, ont une portée qui dépasse leurs narrateurs... Mais cela ne doit pas nous empêcher de poursuivre inlassablement notre tâche terre à terre et de tisser avec obstination le linceul de ce vieux monde boulimique, avide, parasite, dément et cacochyme.




Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




J'ai quitté la ville de Luther, le soir venu
Pour aller à leur rendez-vous dans l'État disparu
Pourquoi ces gens ont-ils appelé un pasteur ?
Et pourquoi moi, qui suis pasteur
De Wittenberg-Lutherstadt, réminiscence
Des condamnations du commerce des indulgences ?
Évidemment, à ce moment-là, ça avait du sens
D'interroger un spécialiste de la conscience.

Comment s'appelle-t-il, comment s'appelle-t-elle ?
Je ne le dirai pas. Par conscience professionnelle.
Déontologie, discrétion, et cetera.
Le cas n'est pas banal, en tous cas
De, disons : Karl et Anastasie
D'une femme espionnée par son mari
Pour le compte de la Stasi
Ah, la Stasi, d'ennui m'anesthésie !
Mais la Stasi n'est plus et je suis là
Allez savoir pourquoi ? Oui, pour quoi ?
Quel intérêt à rabâcher tout ça ?
Accuser l'État disparu et pas celui qui est là.

Je suis de la ville de Luther, ange déchu
Je me souviens de l'État disparu
Pourquoi ces gens ont-ils appelé un pasteur ?
Mais pourquoi moi, qui suis pasteur
De Wittenberg-Lutherstadt, réminiscence
Des condamnations du commerce des indulgences?
Évidemment, aujourd'hui, ça a du sens
D'interroger un spécialiste de la conscience.



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