1990 - Le Pragmatisme saxon
Canzone française – Le Pragmatisme saxon– Marco Valdo M.I. – 2013
Histoires d'Allemagne 89
An de Grass 90
Au travers du kaléidoscope de Günter Grass : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Au travers du kaléidoscope de Günter Grass : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Ah,
dit Lucien l'âne, moi, je connaissais le génitif saxon... Du moins,
j'en ai déjà entendu parlé... N'est-ce pas cette étrange manière de dire
les choses qui fait surgir des phrases aussi étranges que : « Le
docteur, son chien a mordu la dame, sa chatte ».
Ton
exemple, Lucien l'âne mon ami, et je te reconnais bien là, est pour le
moins scabreux, même s'il est rigoureusement exact. Mais enfin, tu n'as
pas pu t'empêcher de faire une digression... Cependant, où veux-tu en
venir exactement ?
À
ceci que si je connais le génitif saxon, je n'avais jamais rencontré
jusqu'ici le pragmatisme saxon qui fait le titre de ta nouvelle histoire
d'Allemagne. On dirait l'intitulé d'un chapitre d'un livre ou d'une
leçon de philosophie. Je vois assez bien ce que peut être le pragmatisme
et je résumerais ce que j'en sais en disant qu'il s'agit selon toute
vraisemblance d'une attitude ou d'une doctrine qui ne voit de vérité que
dans la valeur pratique et vraisemblablement, de façon générale ici
(hic et nunc – ici et maintenant – dans cette société-ci...), j'imagine
dans la valeur la plus pratique qui soit : l'argent, la richesse...
Autrement dit, le pragmatisme est la définition-même de l'attitude, de
la posture du riche dans la Guerre de Cent Mille Ans qu'il mène contre
les pauvres aux seules fins de les dépouiller systématiquement.
On
ne saurait mieux définir la chose...On dirait mon ami Lucien l'âne, que
tu as l'âme et l'esprit d'un philosophe... Mais la chose ne peut
m'étonner sachant d'où tu viens... Cela dit, si tu vas ainsi directement
au fond des choses, certains diront que ceci, que cela et encore autre
chose... Bref, trouveront toujours à redire aux paroles d'un âne.
Cependant, afin de couper court à toute argutie, je dirai qu'avec
certitude et sans discussion possible, ta définition du pragmatisme
correspond tout à fait à celle qu'il conviendrait d'appliquer à ce
« pragmatisme saxon », qui est l'objet de la chanson. Ainsi, notre
narrateur, une fois encore Günter Grass lui-même, se rend à Leipzig,
donc en Saxe, à l'occasion des « premières élections libres », qui vont
voir une victoire écrasante de la CDU – le parti de la droite allemande
et ici, pan-allemande, le parti qui (et c'est le cas aujourd’hui encore)
porte à bout de bras le fameux « rêve d'Otto », dont nous avons déjà
souvent parlé.
En
somme, dit Lucien l'âne en riant de toutes ses belles dents, pour
paraphraser Sully, on pourrait dire que « pragmatisme et nationalisme
sont les deux mamelles de la CDU » . Il est hébergé pour l'occasion chez
un « hygiéniste », il faut évidemment comprendre d'un marchand de
produits d'hygiène (est-ce ce qu'on nomme ici un droguiste ou alors, un
bandagiste – je n'ai pas réussi à le démêler...)... L'essentiel est
qu'il s'agit d'un marchand, qui personnifie le « pragmatisme saxon ».
Lequel pragmatisme l'a conduit à « récupérer » toutes sortes d'objets
publics, dont il garnit son jardin : chaises, réverbère, Christ,
apôtres... Il n'y a pas de petit profit ! Au regard de ce qui se passe
actuellement en Europe, ce pragmatisme saxon aurait tout aussi bien pu
être qualifié de « germanique » et c'est d'ailleurs lui qui guide
l'Allemagne d'aujourd'hui...
J'imagine
que tu veux parler de cette Allemagne écrasante et avide qui veut
imposer sa loi à l'Europe entière... REGARDEZ CE QU'ILS FONT AUX GRECS,
ILS VOUS LE FERONT DEMAIN... (si ce n'est déjà commencé...).
C'est
en effet de celle-là qu'il est question et ce qui va se passer là chez
ce personnage de l'hygiéniste est la prémonition de ce que vont vivre
les lambeaux de la Démocratique lors de la réunification – la
« récupération » des biens publics par le privé et les craintes d'un
démantèlement social et économique et dès lors, sociétal... vont se
révéler exactes... . En contrepoint, on trouve un autre personnage,
Jakob qui vient rappeler ce dont est capable le « pragmatisme saxon »
quand on l’applique à une échelle plus vaste... Et Jakob le fataliste de
conclure : « C'est comme ça, la démocratie... » et sans doute,
pensait-il, « la démocratie de marché ».
Et
bien, Marco Valdo M.I. mon ami, voici de quoi méditer...et aussi de
quoi nous inciter à poursuivre sans discontinuer notre tâche et tisser
le linceul de ce vieux monde pragmatique, soucieux de valeur pratique,
hygiéniste et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I et Lucien Lane,
À Leipzig, au fait, pourquoi pas ?
On se retrouverait Jakob, Leonore, Ute et moi
Jakob et Leonore étaient déjà là
On arrivait de Stralsund Ute et moi
Chez l'hygiéniste saxon à Wiederitzsch
Jakob, lui, était un enfant de Oetzsch
Né Suhl, dans un pauvre quartier de Germanie
Émigré en 1938, juste à temps
Pas de chance pour sa maman
Un Einzastzgruppe en Lituanie mit fin à sa vie.
Avec les Juifs à fourrure, dit Jakob, on n'avait rien à voir
Les échos du vieux temps sonnaient sur le battoir
L'arrière-cour où pendait la lessive
Les reliques de sa jeunesse : l'école, le gymnase...
Dès la fin de l'hiver, le désastre électoral préluda
Au démantèlement des années nonante
Leonore photographiait les visages d'épouvante
Le dépouillement de l'ancien pays commença
Dans le jardin de l'hygiéniste saxon peuplé
D'objets pragmatiquement récupérés
Pierres de cimetières, statues d'église
Ciel bleu, nuages gris, eau turquoise
Le Christ bénit les deux robots japonais
Qui nettoyaient la piscine pendant qu'on parlait
Sur les chaises en fonte, sur les chaises en pierre.
Souvenez-vous : de Leipzig, tout était parti hier.
Jakob se réveilla et dit :
C'est comme ça, la démocratie.
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