vendredi 24 janvier 2014

1971 – Golden Shoot à Stuttgart

1971 – Golden Shoot à Stuttgart


Canzone française – Golden Shoot à Stuttgart – Marco Valdo M.I. – 2012
Histoires d'Allemagne 72



Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.




Contre le « 218 » (deux-cent-dix-huit), tu as témoigné
Golden shoot à la gare de Stuttgart, terminé.







Golden shoot, kess'aco... De quoi tu causes dans cette histoire d'Allemagne au titre si bizarre... Une histoire de tir à l'arc, un concours de malades du fusil, un rendez-vous d'érotomanes... De quoi s'agit-il ?


Ah, mon ami Lucien l'âne, il ne s'agit de rien de tout ça... Cependant, c'est une terrible et belle histoire, c'est aussi une histoire d'amitié et d'une amitié forte et réelle entre deux filles et une histoire qui finit très mal. Par un Golden Shoot, précisément. Par une overdose d'héroïne, si tu veux tout savoir tout de suite.


Une histoire de droguées, alors ? Une sorte de fait-divers...


Sans doute, aussi. Mais c'est bien plus que cela. Comme tu l'as vu jusqu'ici, toutes ces histoires d'Allemagne et on en est à la septantième deuxième, toutes ces histoires d'Allemagne sont des paraboles. Elles parlent d'un fait précis (divers, si tu veux... C'est, en effet, souvent le cas) et en même temps, elles racontent l'histoire de l'Allemagne et souvent aussi, du monde. Je m'explique celle-ci raconte l'histoire de deux jeunes filles et ce qu'il en advient. Mais elle ne se passe pas n'importe quand, ni n'importe où... Ni dans n'importe quel contexte... Regarde les deux premiers vers :
« Dans cette Allemagne mal remise de ses deux sales guerres
Encore baignée du brun de ses douze ans d'Hitler... », c'est toute une analyse politique et sociologique de la situation de l'Allemagne en cette année-là...


Je vois, je vois, dit Lucien l'âne. Je vois même que ça n'a pas beaucoup changé...


Allons, allons, il a coulé de l'eau sous les ponts du Rhin et de l'Elbe... et peut-être, du moins, on peut l'espérer, les choses ont un peu évolué...


Pas si sûr, dit Lucien l'âne. Mais nous verrons, j'espère me tromper. Cependant, ce qui se passe actuellement en Europe, ce qu'ils font aux Grecs... et ce Gauleiter installé à Athènes... Tout ça, ne me dit rien qui vaille.


Laissons-ça pour l'instant et revenons à cette histoire. Elle se situe au moment où la génération d'après-Hitler arrive à l'âge de la jeunesse, découvre le monde, veut voyager pour échapper à l'atmosphère étouffante de la « culture germanique » et plonge à tête perdue dans la musique importée par l'invasion mass-médiatique en provenance d'outre-Atlantique qui submerge l'Europe occidentale. Cette avalanche va ravager l'Europe en important, sans doute aussi via les bases étazuniennes, outre le rock et ses succédanés, certaines consommations diantrement massacrantes. En toile de fond, il y a le Vietnam et le napalm sur les rizières. Pour une des deux filles de notre histoire, les choses vont très mal se passer... Elle s'appelle Uschi – abréviation d'Ursula... Enceinte d'un soir, consciente de son état d'héroïnomane, elle va trop longtemps hésiter à avorter et finalement, le faire dans les pires conditions. Elle s'en sortira encore, aidée par son amie. Mais, reprise par la détresse, l'angoisse, la drogue, elle s'achèvera dans ce Golden Shoot qui donne le titre à la chanson.


Mais à propos, qu'est donc ce « 218 » ? Un parfum ?


Pas vraiment. Il s'agit d'un article du Code Pénal, hérité de l'Empire prussien, le premier Reich, qui punit l'avortement, sauf en cas de « détresse au-dessus des lois », disait une réforme de la République de Weimar en 1927. Les choses ont un peu évolué depuis, mais le combat continue... Comme ici, rien n'est résolu et les vieilles sorcières cléricales continuent à ricaner. Comme disait Léo Ferré : « Le Vatican n'est pas d'accord... Il dit qu'à Liège, on a eu tort... Quand tu verras un Pape sans bras, avec quoi donc il te bénira... les Temps sont difficiles ». Tu vois bien que la chanson va bien au-delà du fait-divers et qu'elle ne concerne pas que l'Allemagne... Le combat pour le droit des femmes à avorter n'est pas terminé... Même si Uschi fut obligée de passer par des charlatans, d'avorter dans les pires conditions à cause de la bêtise de toute une société et finit dans les toilettes de la gare de Stuttgart...


Décidément, votre monde des hommes est bien épouvantable. Il me donne une nausée océanique. J'ai des vagues de dégoût qui me remontent des égouts de toutes vos civilisations... mais, toi comme moi, nous « Noi, non siamo cristiani, siamo somari » (Nous, nous ne sommes pas des chrétiens, nous sommes des bêtes de somme) et heureusement. Cependant et de plus en plus, avec plus d'acharnement encore, il nous faut tisser le linceul ou le saint suaire de ce vieux monde puant, mortellement ennuyeux, stupide, débile, clérical, nauséeux et cacochyme



Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.



Dans cette Allemagne mal remise de ses deux sales guerres
Encore baignée du brun de ses douze ans d'Hitler
Du haut de nos vingt ans, on s'envoyait en l'air
On fumait nos joints comme nos pères buvaient leurs bières
Dans les discothèques venues d'outre-Atlantique
On est allé chercher de nouvelles musiques
Désarticulées, elles ne marchaient plus au pas
Comme celles qui avaient fait pourrir nos papas
Nous les filles, on s'en emplissait les oreilles
Dylan, Deep Purple, Pink Floyd et autres merveilles
On s'éclatait, mais des deux, j'étais la plus sage
Uschi préférait Steppenwolf – elle était plus sauvage

Je te garde au cœur, Uschi
À deux jusqu'aux matins
On était de sortie
On se tenait la main
On était deux filles
Et on s'aimait bien.

Loin, ailleurs, autre part, n'importe où, ou là-bas
Partir, partir, partir, on ne pensait qu'à ça
On rêvait toutes deux d'être hôtesses de l'air
Dans ce monde trop froid où perdurait la guerre
Pendant qu'au Vietnam, ils bombardaient les rizières
Toi, tu étudiais les langues étrangères
Moi, je volais déjà sur les lignes intérieures
Je n'avais plus le temps de jouer les grandes sœurs
Shit, piqûre, héroïne, ma pauvre amie Uschi
Enceinte, tu ne te souvenais pas de qui
J'aurais jamais dû te laisser seule dans la nuit
J'aurais dû t'emmener dans un autre pays

Je te garde au cœur, Uschi
À deux jusqu'aux matins
On était de sortie
On se tenait la main
On était deux filles
Et on s'aimait bien.

L'enfant était là et tu voulais le garder
Mais avec l'héroïne, il était mal barré
De docteur en docteur, t'as voulu avorter
Mais courageusement, ils ont tous refusé
Pour mille marks, à Londres, j'ai voulu t'envoyer
Tous frais payés, au Nursing home pour avorter.
Tu voulais, tu voulais pas, tu ne savais plus quoi
Éperdue, tu as coupé les ponts avec moi
Charlatans, savon de Marseille en injection
Chasse d'eau. Toilette. Paraît que c'était un garçon.
Contre le « 218 » (deux-cent-dix-huit), tu as témoigné
Golden shoot à la gare de Stuttgart, terminé.

Je te garde au cœur, Uschi
À deux jusqu'aux matins
On était de sortie
On se tenait la main
On était deux filles

Et on s'aimait bien.

jeudi 23 janvier 2014

1972 – Tortures et suicides d’État





1972 – Tortures et suicides d’État


Canzone française – Tortures et suicides d’État – Marco Valdo M.I. – 2012
Histoires d'Allemagne 73

Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.



On dirait un titre un peu comme le « Achtung Banditen ! », un titre qui annonce une atmosphère de terreur...


Mais c'est bien de cela qu'il s'agit. Dans l'Allemagne de ces années-là, et à la réflexion, dans toutes ces années que nous avons parcourues jusqu'à présent – depuis 1900, la terreur a toujours régné et pas n'importe quelle terreur, une terreur d’État et toujours dirigée contre les mêmes gens, toujours dirigée contre les pauvres et tous ceux qui ne se soumettaient pas à la Loi des Riches. Je ne parle pas simplement de la loi légale, celle qui transparaît au travers des lois, décrets, règlements en tous genres, mais bien de cette Loi invisible mais terrible, la loi des assis avec sa main invisible qui tue. C'est la loi implicite du monde, la loi des lois comme la Guerre de Cent Mille Ans est la guerre des guerres. La Fontaine en parlait déjà en disant : « La loi du plus fort est toujours la meilleure ». Et quand pour l'appliquer, les lois de l’État n'y suffisent pas, on passe outre et on ne s'en soucie pas... C'est ce qu'on couvre pudiquement du nom de raison d’État.


La chose, Marco Valdo M.I., mon ami, ne s'arrête pas là... Par exemple, quand les forces régulières n'y suffisent pas, l’État a recours à des services « spéciaux » ou fait appel à des milices « privées » et quand l’État ne s'y plie pas assez, des forces occultes entrent en jeu et s'arrangent pour changer l’État... En ce qui concerne l'Allemagne, il y eut les deux premiers Reichs qui ne faisaient pas dans la dentelle et qui en dernier ressort se lancèrent dans la guerre. Il y eut la République de Weimar où la terreur était d'usage courant ; ensuite, à nouveau un Reich et une guerre et puis, il y eut la RFA, gardienne de ces traditions... Un pays où, par exemple, il ne fait pas bon d’être communiste... Un pays où ces années-là, celles qui précèdent directement celle qu'on narre ici, le patron des patrons (en fait le maître occulte) était un ancien SS de haut rang. H.M.S. (Hanns Martin Schleyer), qui avait rançonné la Tchécoslovaquie pour le compte du Reich. Et derrière tout ça, toujours le même pouvoir occulte... les formes de l’État changent, le pouvoir reste... dans les mêmes mains. Souviens-toi du rêve d'Otto dans la chanson [[41588]]... On dit rêve, car c'est plus poétique... En termes réalistes, on ferait mieux de parler de projet d'Otto, qu'on appelle la « Grande Allemagne » et dont bien des signes actuellement montrent qu'il n'a pas été abandonné.


Bien au contraire, même s'il n'est pas explicite, c'est lui qui souterrainement conduit le bal européen. Et c'est précisément cette tendance, cette volonté de puissance camouflée que dénonçaient ceux qui menèrent le combat pendant des années et des années à partir des années 50-60 du siècle dernier... Un combat dans le prolongement de la résistance – d'où le « Ora e sempre : Resistenza ! » – résistance qui elle aussi parcourt toutes nos histoires d'Allemagne. Ainsi, on peut faire le parallèle entre le destin de Müsahm assassiné en prison, puis pendu – cette fois-là aussi, on parla de suicide [[38381]] et celui d'Andreas Baader, de Gudrun Ensslin, d'Ulrike Meinhoff et des autres suicidés des prisons de la RFA.

2 juin 1967 — Benno OHNESORG, étudiant, 27 ans, abattu par un policier à Berlin
11 avril 1968 — Attentat contre Rudi DUTSCHKE à Berlin,
15 juillet 1971 — Petra SCHELM, 20 ans, militante de la « R.A.F. » – Rote Armee Fraktion, abattue à Hambourg par la police.

4 décembre 1971 — Georg von RAUCH, 24 ans, militant de la « R.A.F. » – Rote Armee Fraktion est abattu d'une balle dans la tête par la police politique à Berlin.

2 mars 1972 — Thomas WEISBECKER, 23 ans, militant de la « R.A.F. » – Rote Armee Fraktion, est descendu à Augsbourg d'une balle en plein cœur tirée à trois mètres. Une exécution opérée par deux agents de la police politique.

4 mai 1975 — Siegfried HAUSNER, 23 ans, membre du commando « Holger Meins », meurt dans la prison de Suttgart-Stammheim.


29 juin 1975 — Katharina HAMMERSCHMIDT, 32 ans, militante de la « R.A.F. » – Rote Armee Fraktion, atteinte d'un cancer depuis son incarcération, n'ayant pas été soignée en prison, est transportée dans un hôpital et y trouve la mort, étouffée par la tumeur, faute d'y avoir été envoyée assez tôt.

8-9 mai 1976 — Assassinat déguisé en suicide (une pendaison techniquement impossible...) de Ulrike MEINHOF (42 ans) dans la nuit du 8 au 9 mai à la prison de Stammheim. Les magistrats refusent de faire appel à un médecin et ensuite, les mêmes magistrats refusent l'autopsie. http://bender27.wordpress.com/tag/mairendorf/


18 octobre 1977 – Liquidation des quatre derniers détenus de la prison de Stammheim : Andreas BAADER (34 ans) et Jan-Karl RASPE (33 ans) sont « suicidés » au revolver d'une balle dans la nuque , Gudrun ENSSLIN (37 ans) est pendue dans sa cellule (encore une pendaison impossible, avec un câble d'un poste de radio, qu'elle ne pouvait avoir dans sa cellule). Irmgard MÖLLER (30 ans), frappée au couteau, est dans un état grave ; elle survivra.




Liquidation : comment appeler ces crimes d'État autrement ? Déjà en 1974, dans un article intitulé « La mort lente d'Andreas Baader » [http://etoilerouge.chez-alice.fr/docrevinter/allemagne1.html]), 
le philosophe et écrivain français Jean-Paul Sartre, qui avait été le voir dans sa prison de haute sécurité, écrivit : « Ce système est justement contre la personne humaine et la détruit. » et il concluait : « On craint pour la vie de cinq détenus, d'ici quelques semaines, quelques mois, dans quelques jours peut-être. ...ou même, comme il est arrivé déjà une fois, de les tuer. ». Je note que Sartre écrivait ça trois ans avant ces assassinats en prison...
Et les témoignages antérieurs des "suicidés" en apportent la preuve. [http://lesmaterialistes.com/declaration-jan-carl-raspe-proces-1976]

12 novembre 1977 – Ingrid SCHUBERT (33 ans) est «suicidée» à la prison de Munich. Encore une étrange pendaison... On se pendait beaucoup en ces temps-là dans les prisons de la RFA.



Pour faire un peu le point sur cette longue série d'assassinats politiques, on notera l'analyse d'un chroniqueur de cette époque :
« Une partie de la gauche extraparlementaire — au regard de l'histoire et des conditions particulières de l’État ouest-allemand et de son type de société —, s'est décidée pour cette forme extrême de combat. Son opposition vient de la prise de conscience que les structures qui ont servi de base au national-socialisme et ont donné naissance à la Seconde Guerre mondiale, n'ont jamais été brisées en R.F.A. Le régime qui a succédé au IIIe Reich a uniquement changé de façade et de terminologie. Mais la propriété et les rapports de production sont restés inchangés. »


Mais, dis-moi, Marco Valdo M.I., mon ami, souvent tes chansons sont le fait d'un narrateur et abordent l'histoire de manière un peu indirecte. Qu'en est-il cette fois-ci ?


Maintenant, pour en venir à la chanson, elle est comme à l’ordinaire, tirée des récits de Günter Grass et en effet, il y a un narrateur. Mais un double narrateur, un narrateur qui raconte l'histoire comme s'il était le protagoniste et ensuite, se prend pour le protagoniste et passe à la première personne, au « Je ». En résumé, c'est l'histoire d'un Judas, d'un « indic », d'un dénonciateur qui a des remords et a même du mal à comprendre comment il en est arrivé là... Peut-être, Judas lui-même se posait aussi ces questions... Et que faire du million de D.M. de la « récompense »... Mais que pouvait-elle compenser cette « compensation » ?  Quelle vie atroce, après... On sent bien que le dénonciateur a en fait agi dans une ambiance hystérique sous la pression énorme et constante que l’État, les médias et toute la machine de propagande opéraient – et font encore peser – sur la société. Il n'y a qu'à voir ce qu'il en est actuellement. En fait, c'est encore un épisode de la Guerre de Cent Mille Ans que les riches font contre les pauvres, jour après jour, partout dans le monde... Comme on le sait, il s'agit d'assurer leur pouvoir, de préserver leur richesse et de permettre l'exploitation des gens par le travail.

Ainsi donc, nous qui n'avons pas le goût, ni sans doute la force, de mener la lutte comme l'ont fait ces jeunes gens d'Allemagne, il nous faut rependre notre tâche quotidienne et tisser le linceul de ce vieux monde ordinaire, suicideur, démocratiquement totalitaire, manipulateur et cacochyme


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane






D'habitude, moi, c'est moi
Mais curieusement, cette fois
Moi, c'est lui et lui, c'est moi.
Je dois dire les choses comme ça
Sinon, on ne comprendrait pas
Personnellement, je n'en reviens pas
D'avoir fait cette chose-là
Mais quelle pression pesait sur moi
Comme sur tout le monde dans cet État
Je m'en vais vous raconter ça


C'était en 72, il y a des années déjà
D'abord, il habitait Hanovre,
Il était instituteur et membre du syndicat
Il était de « gauche ». Je dois vous dire
Qu'il l'est toujours, il le croit
Avec ses remords de Judas
Sa grande honte, du jour où il est devenu renégat
Où il a vendu ses frères sans savoir pourquoi


Une fille a frappé à la porte chez moi
Elle m'a dit : Y a une fille, y a un gars
Il faudrait les planquer chez toi
Moi, j'ai accepté de faire ça
Maintenant, je pense qu'il ne fallait pas
L'hospitalité, c'est sacré. On ne trahit pas.
Enfin, on les a arrêtés chez moi
C'est vrai, c'est moi
J'ai appelé le 110, mais c'était pas pour ça
Pas pour ce million de marks de l’État
J'ai beau l'avoir donné ce million-là
Il me colle comme la poisse aux doigts


C'était en 72, il y a des années déjà
D'abord, il habitait Hanovre,
Il était instituteur et membre du syndicat
Il était de « gauche ». Je dois vous dire
Qu'il l'est toujours, il le croit
Avec ses remords de Judas
Sa grande honte, depuis ce jour-là
Où il a vendu ses frères sans savoir pourquoi


On les a mis en isolement, dans cette prison d’État
Seul en cellule, pas de bruit, des années, des mois
Pas de lumière, pas de paroles, rien, même pas de pas
Torture blanche, torture d’État
On a voulu en faire des renégats
Leur faire rendre leurs idées, abandonner leur combat
Ils résistaient – Ora e sempre : Resistenza !,
Grève de la faim pendant des mois
Comme tout ça ne marchait pas
Finalement, on les a suicidés à trois.


C'était en 72, il y a des années déjà
D'abord, il habitait Hanovre,
Il était instituteur et membre du syndicat
Il était de « gauche ». Je dois vous dire
Qu'il l'est toujours, il le croit
Avec ses remords de Judas
Sa grande honte, du jour où il est devenu renégat
Où il a vendu ses frères sans savoir pourquoi.

1973 – Un Beau Dimanche en Famille

1973 – Un Beau Dimanche en Famille

Canzone française – Un Beau Dimanche en famille – Marco Valdo M.I. – 2012
Histoires d'Allemagne 74

Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.




Et puis, il y a eu une forte pluie
On dégoulinait de partout, trempés jusqu'aux os





Alors, de quoi pouvait-on bien parler le dimanche en famille en 1973 ? À quoi pouvait bien ressembler un dimanche en famille cette année-là ? En quoi pouvait-il bien se distinguer de tous les dimanches en famille qui ont eu lieu avant lui ? s'exclame Lucien l'âne qui vient de lire le titre de la chanson-histoire d'Allemagne.


Tu sais, Lucien l'âne mon ami, à bien y regarder, chaque dimanche est une journée particulière (http://www.youtube.com/watch?v=4OnGol57daEhttp://www.youtube.com/watch?v=fTsao56WYRQ)... Et les dimanches en famille sont redoutables pour les enfants et pas seulement, ainsi que le chantait Trenet (http://www.youtube.com/watch?v=okgk0P0RZB8). Chaque journée est particulière, en somme.


Mais foin de généralités, qu'en est-il de ton dimanche en famille là-bas dans cette Allemagne gonflée à blocs par le boum ?


Avant d'en venir à ce foutu dimanche en famille, laisse-moi te dire deux mots de cette « Allemagne gonflée par le boum », car l'expression est éclairante à plus d'un titre. En effet, l'Allemagne – celle dont parle le narrateur, cette Allemagne de l'Ouest est gonflée par le « boum »... Mais si au sens premier, anglophone de « boom », elle est gonflée comme une baudruche d'automobiles, de frigidaires, d'atomixaires, de machines à laver, d'essoreuses, de radios et de téléviseurs... Elle est tout autant gonflée à bloc par le « boum » atomique potentiel qui la protège. Du moins ses autorités le croient et dès lors, se gonflent d'importance. Tel le Phoenix, l'Allemagne renaît sur les cendres du passé, reprend sa place dans le concert des nations et se met à gamberger sur le rêve d'Otto. Et c'est bien ce qui est inquiétant... Fin de la parenthèse. Revenons au dimanche en famille... En 1973, pour des raisons liées à l’absurde conflit du Moyen-Orient, les émirs vont réduire les fournitures de pétrole et en Allemagne, comme ce fut le cas dans d'autres pays, on instaura les « dimanches sans voiture ».


On y revient d'ailleurs... dit Lucien l'âne.


Oui, on y revient à présent, de façon épisodique et pour d’autres raisons... C'est que sous le déluge automobile, l'asphyxie gagne nos villes... Certains – sans doute plus inconscients encore – prennent des mesures en sens contraire et augmentent la consommation de pétrole en diminuant le prix du carburant... Bref, ça part dans tous les sens. Mais, laissons ces incohérences contemporaines ; elles sont juste le reflet d'une bêtise monumentale qui s'affole. Saluons-la et revenons à notre dimanche en famille en 1973. Vu qu'on ne pouvait plus utiliser la voiture, tous les jeunes étaient perdus. Que faire le dimanche ? Que faire un dimanche de novembre quand le ciel est gris, que les feuilles sont mortes et que la nuit tombe à cinq heures. Une promenade en forêt... Une vraie balade comme on n'en faisait plus depuis longtemps, de celles qui plaisent aux enfants et qu'on finit par un goûter bien au chaud. Café, chocolat, schnaps et gâteaux.


C'est pas si mal, dit Lucien l'âne, de se retrouver tous ainsi : parents, enfants, petits-enfants... Ça laisse des souvenirs. Il n'y manque que la photo. Quant au reste de la narration : la crise, la fin du pétrole et la guerre en Orient, les choses n'ont pas tellement changé et je pense même qu'elles ne changeront pas de si tôt... En fait, tant que des gens revendiqueront les mêmes lieux en se fondant sur le droit du premier occupant, sur le droit de propriété, ou sur des croyances infondées et hystériques, il ne pourra y avoir que massacres et compagnie et ça dure depuis des milliers d'années... Alors, tissons le linceul et le suaire de ce vieux monde crédule, possessif, vindicatif, hystérique et cacochyme.



Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




Pour nous, c'est simple...
Il n'y avait plus de pétrole
Alors, j'ai dit
Qu'est-ce qu'il a dit ? Il a dit :
On n'est pas là pour s'engueuler
On est là pour s'amuser
Vous êtes mes gendres, ce sont mes filles
C'est une promenade en famille.


Moi, dit Gerhard, dans des bidons au fond du garage
Moi, dit Heinz-Dieter, je l'ai mis dans la baignoire
Horst dit : on peut pas rouler comme on veut. Désespoir.
On retourne à l'âge de la pierre, quel gaspillage...
Ils disent, c'est la faute aux Arabes, c'est la faute aux émirs
Ou alors, à Israël, qui leur fait la guerre
Moi, ça m'est bien égal, ça pourrait être pire
Guerre du ramadan, guerre du kippour, guerre...
D'un côté, Israël
La Syrie et l’Égypte, de l'autre,
Ça avait mal commencé pour Israël,
Ça a mal fini pour les autres


Pour nous, c'est simple...
Il n'y avait plus de pétrole
Alors, j'ai dit
Qu'est-ce qu'il a dit ? Il a dit :
On n'est pas là pour s'engueuler
On est là pour s'amuser
Vous êtes mes gendres, ce sont mes filles
C'est une promenade en famille.


C'est le choc, c'est la crise et si ça dure ?
C'est la fin du boom, faudra s'en arranger
Tous les dimanches sans voiture
Faudra bien les occuper
Y a toujours les bus, les trams, les trains,
Avec des impers, des bottes et de l'entrain
Nous sommes allés promener dans les bois
Deux heures, on a même vu des chevreuils
Vous voyez bien, dis-je aux enfants, qu'il y en a
En novembre, la forêt est en deuil
Et on marche sur les feuilles
On aurait mieux fait d'aller au cinéma


Pour nous, c'est simple...
Il n'y avait plus de pétrole
Alors, j'ai dit
Qu'est-ce qu'il a dit ? Il a dit :
On n'est pas là pour s'engueuler
On est là pour s'amuser
Vous êtes mes gendres, ce sont mes filles
C'est une promenade en famille.


Les enfants, les petits, m'écoutaient encore
Je leur montrait les faines, les glands
Qu'on mangeait pendant la guerre quand j'étais enfant
Les écureuils grimpaient dans les sapins morts
Les industries et les autos les ont tués
À ce train-là, je leur ai dit, vous y passerez aussi
C'était un peu exagéré, juste pour les impressionner
Et puis, il y a eu une forte pluie
On dégoulinait de partout, trempés jusqu'aux os
Nous nous sommes réfugiés à l'auberge pour nous sécher
J'ai offert le café, le chocolat, le schnaps et les gâteaux
Puis, tranquillement, par le tram, on est tous rentrés.


Pour nous, c'est simple...
Il n'y avait plus de pétrole
Alors, j'ai dit
Qu'est-ce qu'il a dit ? Il a dit :
On n'est pas là pour s'engueuler
On est là pour s'amuser
Vous êtes mes gendres, ce sont mes filles

C'est une promenade en famille.

mardi 21 janvier 2014

1974 - Lucy, Eddy, Tafari, Günter et les oeillets

1974 - Lucy, Eddy, Tafari, Günter et les oeillets
 
 
Canzone française – Lucy, Eddy, Tafari, Günter et les oeillets – Marco Valdo M.I. – 2012
Histoires d'Allemagne 75

Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.






Accrochez-vous les gars
La petite Lucy, quelle nana !
C'est notre aïeule
D'un mètre de haut







Que vient faire cette Lucy dans une histoire d'Allemagne ? Est-ce ta grand-mère ou pourrait-elle être cette Lucy in the Sky [[http://www.youtube.com/watch?v=A7F2X3rSSCU]] qui surgit ces années-là dans l'éther ? Ou tout simplement, aurais-tu mangé des champignons magiques ?


En fait, mon ami Lucien l'âne, pour ce qui est des champignons, je pense que tu es plus compétent que moi, toi qui te nourris des herbes des chemins et qui est né et même, rené, d'un philtre magique... Maintenant, en ce qui concerne Lucy, ma réponse est qu'elle est à la fois, mon aïeule – là, dès lors, c'est une Lucy fort ancienne et bien plus récente, la Lucy in the Sky with Diamonds, sortie tout droit de l'imaginaire de John Lennon à la fin des années 60. Rapport aux champignons, je n'ignore pas plus que toi la signification de l'acronyme formé des initiales de la chanson anglaise : L.S.D. Mais quand surgit cette année-là : 1974, Lucy, c'est une renaissance dans le rift, région d’Éthiopie où elle vécut, il y a quelques centaines de milliers d'années [[http://fr.wikipedia.org/wiki/Lucy_%28pal%C3%A9oanthropologie%29]]. Et non seulement, c'est mon aïeule, mais sans doute aussi celle du Sieur de Cro-magnon[[7817]].


Par parenthèse, je te rappelle qu'à l'époque de Cro-Magnon, qui est sans aucun doute le véritable ancêtre de l'Europe actuelle, Dieu n'avait pas encore été inventé.


A fortiori, à l'époque de Lucy, il ne saurait être question de l'invention de Dieu. Et moins encore, au temps de Kadamounou... Je te raconte tout ça, car la chanson est bâtie tout autour du thème du voyage temporel... Cette histoire d'Allemagne, qu'on pourrait nommer plus exactement histoire d'Allemagnes est une narration qui est portée par un certain Günter Guillaume ou par la suite, Günter Brohl qu'on a mis cette année-là en prison pour espionnage...


C'est ce qui arrive souvent aux espions, dit Lucien l'âne en hochant sa drôle de tête.


Günter Guillaume était espion au profit de la RDA – l'Allemagne démocratique et conseiller – fort proche – du Chancelier de l'Allemagne fédérale, qui était Willy Brandt. En fait, en l'arrêtant, on l'a libéré d'un métier harassant. Comprends bien ceci : être espion, c'est être un agent double... Ce qui est déjà compliqué... Mais être agent double d'un même pays, lui-même dédoublé... C'est un casse-tête, c'est un perpétuel conflit d'intérêts entre chacune de ses doubles fonctions. Et comme, il le dit dans la chanson, il est un peu dérouté... Qui soutenir lors d'un match de foot entre l'Allemagne et l'Allemagne... Un peu comme celui qui supporterait en même temps une équipe de Florence et une équipe de Gênes...


Ah, dit Lucien l'âne plongé dans un abîme de perplexité... Sans doute, sans doute, y a-t-il là un problème presque insoluble pour une conscience allemande... Et plus encore pour nous les ânes...


Et le narrateur libéré de ses soucis d'espion, se retrouve dans une sorte de temps de vacances... Un temps vacant... Et il recense les bruits du monde qui lui parviennent : en avril au Portugal, le régime fasciste est renversé par une révolution qui distribue des œillets dans les rues; à l'été, sur l'écran passe Eddy Merckx, tout en jaune et à l'automne, on a trouvé Lucy et puis, Haïlé Sélassié, Empereur d’Éthiopie (et plein d'autres choses) est renversé... Choses éphémères, s'il en est...


Le monde ainsi passe et la Guerre de Cent Mille Ans se déroule, ici, là et ailleurs. Toujours semblable à elle-même... Les riches la conduisent avec un entêtement millénaire et bâtissent ainsi leur forteresse, perfectionnent leur domination, accroissent de façon toujours plus efficace, leur richesse et par conséquent, la misère des pauvres... C'est très exactement pour cela qu'il nous faut tisser le linceul de ce vieux monde rusé, mensonger, trompeur, antagoniste et cacochyme. (Heureusement!)


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Accrochez-vous les gars
La petite Lucy, quelle nana !
C'est notre aïeule
D'un mètre de haut
Et Kadamounou, c'est son bisaïeul,
Un mètre soixante-huit de haut
Et donc bien plus grand
Et mort depuis fort longtemps
Vivaient sur les rives de l'Omo
Dans la touffeur de la savane de l'Afar
En Éthiopie, là-bas, quelque part


Maintenant
Je m'informe, je rêve,
Je prends mes aises,
J'ai tout mon temps
Je me balade
Je vagabonde
Au travers du temps


Finalement, moi, c'est Günter Guillaume
Et Christel, ma femme,
Ils nous ont arrêtés
Depuis on vit en taule, chacun de son côté
Moi, je regarde le foot à la télé
Le match Allemagne-Allemagne
À Hambourg, sur le terrain, qui va gagner ?
La Fédérale ou la Démocratique ?
Un match des plus dramatiques.
Je suis un peu dérouté
Suis-je pour l'Allemagne ou pour l'Allemagne ?


Maintenant
Je m'informe, je rêve,
Je prends mes aises,
J'ai tout mon temps
Je me balade
Je vagabonde
Au travers du temps


Entre les barreaux, passent les nues
Dehors, la vie continue
À la saison des œillets et du lilas,
Fin avril, c'est l'heure de Grandola
Aux cerises, aux pêches, aux abricots
Eddy, le bouton d'or, sur son vélo
Emporte le Tour une cinquième fois
Aux arbres nus et aux fêtes des morts
En Éthiopie, changement de décor
Le Négus, le roi des rois, l'idole des Rastas
Ras Tafari perd son Empire une deuxième fois.


Maintenant
Je m'informe, je rêve,
Je prends mes aises,
J'ai tout mon temps
Je me balade
Je vagabonde

Au travers du temps.