vendredi 24 janvier 2014

1971 – Golden Shoot à Stuttgart

1971 – Golden Shoot à Stuttgart


Canzone française – Golden Shoot à Stuttgart – Marco Valdo M.I. – 2012
Histoires d'Allemagne 72



Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.




Contre le « 218 » (deux-cent-dix-huit), tu as témoigné
Golden shoot à la gare de Stuttgart, terminé.







Golden shoot, kess'aco... De quoi tu causes dans cette histoire d'Allemagne au titre si bizarre... Une histoire de tir à l'arc, un concours de malades du fusil, un rendez-vous d'érotomanes... De quoi s'agit-il ?


Ah, mon ami Lucien l'âne, il ne s'agit de rien de tout ça... Cependant, c'est une terrible et belle histoire, c'est aussi une histoire d'amitié et d'une amitié forte et réelle entre deux filles et une histoire qui finit très mal. Par un Golden Shoot, précisément. Par une overdose d'héroïne, si tu veux tout savoir tout de suite.


Une histoire de droguées, alors ? Une sorte de fait-divers...


Sans doute, aussi. Mais c'est bien plus que cela. Comme tu l'as vu jusqu'ici, toutes ces histoires d'Allemagne et on en est à la septantième deuxième, toutes ces histoires d'Allemagne sont des paraboles. Elles parlent d'un fait précis (divers, si tu veux... C'est, en effet, souvent le cas) et en même temps, elles racontent l'histoire de l'Allemagne et souvent aussi, du monde. Je m'explique celle-ci raconte l'histoire de deux jeunes filles et ce qu'il en advient. Mais elle ne se passe pas n'importe quand, ni n'importe où... Ni dans n'importe quel contexte... Regarde les deux premiers vers :
« Dans cette Allemagne mal remise de ses deux sales guerres
Encore baignée du brun de ses douze ans d'Hitler... », c'est toute une analyse politique et sociologique de la situation de l'Allemagne en cette année-là...


Je vois, je vois, dit Lucien l'âne. Je vois même que ça n'a pas beaucoup changé...


Allons, allons, il a coulé de l'eau sous les ponts du Rhin et de l'Elbe... et peut-être, du moins, on peut l'espérer, les choses ont un peu évolué...


Pas si sûr, dit Lucien l'âne. Mais nous verrons, j'espère me tromper. Cependant, ce qui se passe actuellement en Europe, ce qu'ils font aux Grecs... et ce Gauleiter installé à Athènes... Tout ça, ne me dit rien qui vaille.


Laissons-ça pour l'instant et revenons à cette histoire. Elle se situe au moment où la génération d'après-Hitler arrive à l'âge de la jeunesse, découvre le monde, veut voyager pour échapper à l'atmosphère étouffante de la « culture germanique » et plonge à tête perdue dans la musique importée par l'invasion mass-médiatique en provenance d'outre-Atlantique qui submerge l'Europe occidentale. Cette avalanche va ravager l'Europe en important, sans doute aussi via les bases étazuniennes, outre le rock et ses succédanés, certaines consommations diantrement massacrantes. En toile de fond, il y a le Vietnam et le napalm sur les rizières. Pour une des deux filles de notre histoire, les choses vont très mal se passer... Elle s'appelle Uschi – abréviation d'Ursula... Enceinte d'un soir, consciente de son état d'héroïnomane, elle va trop longtemps hésiter à avorter et finalement, le faire dans les pires conditions. Elle s'en sortira encore, aidée par son amie. Mais, reprise par la détresse, l'angoisse, la drogue, elle s'achèvera dans ce Golden Shoot qui donne le titre à la chanson.


Mais à propos, qu'est donc ce « 218 » ? Un parfum ?


Pas vraiment. Il s'agit d'un article du Code Pénal, hérité de l'Empire prussien, le premier Reich, qui punit l'avortement, sauf en cas de « détresse au-dessus des lois », disait une réforme de la République de Weimar en 1927. Les choses ont un peu évolué depuis, mais le combat continue... Comme ici, rien n'est résolu et les vieilles sorcières cléricales continuent à ricaner. Comme disait Léo Ferré : « Le Vatican n'est pas d'accord... Il dit qu'à Liège, on a eu tort... Quand tu verras un Pape sans bras, avec quoi donc il te bénira... les Temps sont difficiles ». Tu vois bien que la chanson va bien au-delà du fait-divers et qu'elle ne concerne pas que l'Allemagne... Le combat pour le droit des femmes à avorter n'est pas terminé... Même si Uschi fut obligée de passer par des charlatans, d'avorter dans les pires conditions à cause de la bêtise de toute une société et finit dans les toilettes de la gare de Stuttgart...


Décidément, votre monde des hommes est bien épouvantable. Il me donne une nausée océanique. J'ai des vagues de dégoût qui me remontent des égouts de toutes vos civilisations... mais, toi comme moi, nous « Noi, non siamo cristiani, siamo somari » (Nous, nous ne sommes pas des chrétiens, nous sommes des bêtes de somme) et heureusement. Cependant et de plus en plus, avec plus d'acharnement encore, il nous faut tisser le linceul ou le saint suaire de ce vieux monde puant, mortellement ennuyeux, stupide, débile, clérical, nauséeux et cacochyme



Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.



Dans cette Allemagne mal remise de ses deux sales guerres
Encore baignée du brun de ses douze ans d'Hitler
Du haut de nos vingt ans, on s'envoyait en l'air
On fumait nos joints comme nos pères buvaient leurs bières
Dans les discothèques venues d'outre-Atlantique
On est allé chercher de nouvelles musiques
Désarticulées, elles ne marchaient plus au pas
Comme celles qui avaient fait pourrir nos papas
Nous les filles, on s'en emplissait les oreilles
Dylan, Deep Purple, Pink Floyd et autres merveilles
On s'éclatait, mais des deux, j'étais la plus sage
Uschi préférait Steppenwolf – elle était plus sauvage

Je te garde au cœur, Uschi
À deux jusqu'aux matins
On était de sortie
On se tenait la main
On était deux filles
Et on s'aimait bien.

Loin, ailleurs, autre part, n'importe où, ou là-bas
Partir, partir, partir, on ne pensait qu'à ça
On rêvait toutes deux d'être hôtesses de l'air
Dans ce monde trop froid où perdurait la guerre
Pendant qu'au Vietnam, ils bombardaient les rizières
Toi, tu étudiais les langues étrangères
Moi, je volais déjà sur les lignes intérieures
Je n'avais plus le temps de jouer les grandes sœurs
Shit, piqûre, héroïne, ma pauvre amie Uschi
Enceinte, tu ne te souvenais pas de qui
J'aurais jamais dû te laisser seule dans la nuit
J'aurais dû t'emmener dans un autre pays

Je te garde au cœur, Uschi
À deux jusqu'aux matins
On était de sortie
On se tenait la main
On était deux filles
Et on s'aimait bien.

L'enfant était là et tu voulais le garder
Mais avec l'héroïne, il était mal barré
De docteur en docteur, t'as voulu avorter
Mais courageusement, ils ont tous refusé
Pour mille marks, à Londres, j'ai voulu t'envoyer
Tous frais payés, au Nursing home pour avorter.
Tu voulais, tu voulais pas, tu ne savais plus quoi
Éperdue, tu as coupé les ponts avec moi
Charlatans, savon de Marseille en injection
Chasse d'eau. Toilette. Paraît que c'était un garçon.
Contre le « 218 » (deux-cent-dix-huit), tu as témoigné
Golden shoot à la gare de Stuttgart, terminé.

Je te garde au cœur, Uschi
À deux jusqu'aux matins
On était de sortie
On se tenait la main
On était deux filles

Et on s'aimait bien.

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