1970
– Mal aux genoux
Canzone
française – Mal aux genoux – Marco Valdo M.I. – 2012
Histoires
d'Allemagne 71
Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Es war eine Geste, die eine ganze Generation elektrisierte: Der deutsche Bundeskanzler kniet vor dem Denkmal der Nazi-Opfer |
Mal
aux genoux, mal aux genoux... Justement... Elle tombe à pic ta
chanson... J'ai horriblement mal aux genoux. Pas étonnant avec ce
temps... On souffre terriblement de ça, nous autres, les ânes et en
plus, on en a quatre des genoux... C'est d'autant plus douloureux...,
dit Lucien l'âne en se relevant d'un coup de reins majestueux sur
ses jolis sabots noirs comme le brai. D'ailleurs, tu le vois, je
m'étais mis ainsi à genoux dans la boue, car c'est un excellent
remède à l'arthrose, l'arthrite et compagnie. Enfin, je suppose que
ce n'est pas de mes genoux qu'elle parle cette canzone...
En
effet, Lucien l'âne mon ami, ce n'est pas de tes genoux qu'elle se
soucie, mais de ceux de Willy... Lequel Willy et ses genoux ont
réellement existé comme tels dans l'histoire d'Allemagne de cette
année 1970. Quand Willy est tombé sur ses genoux, personne ne s'y
attendait et ce fut une telle surprise, qu'elle fit le tour du monde.
On en parle encore aujourd'hui. Il faut dire qu'il a fait ça en
direct devant les journalistes, les télévisions et tous les
officiels qui étaient présents à cette cérémonie. Willy
était censé s'incliner un instant et déposer une gerbe de fleurs à
l'endroit où il y avait eu un ghetto... et où il n'en restait plus
rien... L'autre avait donné l'ordre de le raser complètement,
habitants compris. Ce qui fut énergiquement accompli...
Mais
dis-moi, Marco Valdo M.I. mon ami, dis-moi qui est « l'autre » ?
Qui était-ce ?
L'autre
se prénommait Adolf, portait un simulacre de moustache, avait été
nommé chancelier d'Allemagne en 1933 et avait disparu dans les
décombres de sa chancellerie en 1945. Entre les deux, il y avait eu
des millions de morts, des dizaines de millions de morts... Comme le
disait au siècle précédent Platen, un poète élégiaque –
allemand lui aussi : « Il n'est rien de pire ici bas que
d'être Allemand ».
La
citation est parfaitement adaptée à la situation... Est-ce toi qui
l'as retrouvée ?
Non,
non... Enfin, oui, sans doute... À force de lire, mais pas
directement dans les poèmes de Platen... C'est Karl Kraus qui
l'avait publiée dans sa revue Die Fackel... Mais peu importe, je ne
vais pas te parler de la Troisième nuit de Walpurgis, ça nous
mènerait trop loin. Retiens seulement que Willy, frappé aux genoux
par le mal de son pays (rien de pire ici bas que d'être Allemand),
peu après que l'autre ait accédé au pouvoir et terrorisait tout le
pays avec ses hurlements et ses bandes de brutes, Willy s'est exilé
en Norvège, est devenu Norvégien. Il n'est rentré et n'a repris la
nationalité allemande qu'après l'élimination du Führer des
« barbares Aryens ». Et bien des années, vingt-cinq très
exactement, un quart de siècle plus tard, il est devenu lui-même
chancelier d'une moitié de l'Allemagne et c'est comme chancelier que
ses genoux – ce jour-là – l'ont lâché. Il y aurait encore un
milliard de choses à raconter, mais je te laisse découvrir la
canzone...
Certes,
mais Willy n'a pas fait que tomber sur les genoux quand à son tour,
il fut chancelier... J'en ai le souvenir d'un homme qui a tenté de
changer les choses, et en comparaison avec ses prédécesseurs, dans
le bon sens...
En
effet, si on mesure l'action de Willy à celle de ses prédécesseurs
(et même de ses successeurs) au poste de chancelier, il constitue
une exception... On dirait une sorte de personnage humain et
assurément pacifique au milieu d'un monde de belliqueux et
d'affairistes. Un gars étrange qui boitait là où tous les autres
marchaient au pas de l'oie. Un gars qui imposa des actes de paix là
où on en était encore prêt à en découdre... D'ailleurs,
finalement, ils ont réussi à l'écarter... Donc, voilà, c'est
l'histoire de Willy.
Je
me demande, dit Lucien l'âne en hochant son vaste crâne, je me
demande dans quelle mesure ce ne fut pas, alors qu'il fut plongé dès
sa jeunesse dans une phase apocalyptique de la Guerre de Cent Mille
Ans que les riches font aux pauvres pour asseoir leur domination,
étendre leurs privilèges, assurer leurs richesses, imposer le
travail et l'exploitation, ce ne fut à sa manière que Willy tissa,
comme nous nous nous efforçons de le faire, le linceul de ce vieux
monde d'épouvante, de détresse, de massacres, mythomane et
cacochyme
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Willy,
appelons-le ainsi
Willy
avait mal aux genoux
Du
gauche, du droit, il boitait aussi
Quand
il venait chez nous
Ô
ses douleurs, ce n'était pas arthrose, arthrite et compagnie
C'étaient
les séquelles d'un mal au pays
Die
Fackel citait Platen, on était en 1933
« Tu
le sais depuis longtemps
Il
n'est rien de pire ici bas que d'être Allemand »
L'autre
était chancelier depuis trois mois
L'idée
n'est pas nouvelle comme tu le vois.
Willy
aussi en ce temps-là
Se
sentait si mal d'être Allemand
Qu'il
a changé de nom et même de pays.
Willy,
appelons-le ainsi
Willy
avait mal aux genoux
Du
gauche, du droit, il boitait aussi
Quand
il venait chez nous
Ô
ses douleurs, ce n'était pas arthrose, arthrite et compagnie
C'étaient
les séquelles d'un mal au pays
Au
début, il ne s'appelait pas Willy,
C'est
comme je vous le dis
Quand
il est né, à Lübeck, il s'appelait Frahm
Herbert
Ernst Karl Frahm
Du
nom de sa mère; son père,
Un
comptable appelé John Möller
Avait
simplement disparu
Sans
même l'avoir reconnu.
Willy,
appelons-le ainsi
Willy
avait mal aux genoux
Du
gauche, du droit, il boitait aussi
Quand
il venait chez nous
Ô
ses douleurs, ce n'était pas arthrose, arthrite et compagnie
C'étaient
les séquelles d'un mal au pays
L'autre
était chancelier depuis un mois
L'Allemagne
suffoquait déjà.
Herbert
Ernst Karl entrait dans l'anonymat
Il
se renomma Willy Brandt et le resta
Dans
la clandestinité, dans l'exil, à l'étranger
Il
mena le combat et garda sa dignité
Jusqu'à
se faire citoyen norvégien
Pour
récuser ces barbares Aryens
Willy,
appelons-le ainsi
Willy
avait mal aux genoux
Du
gauche, du droit, il boitait aussi
Quand
il venait chez nous
Ô
ses douleurs, ce n'était pas arthrose, arthrite et compagnie
C'étaient
les séquelles d'un mal au pays
L'autre
était crevé depuis vingt-cinq ans
Willy
était chancelier depuis un an
Pour
réparer l'ignominie d'autrefois
À
genoux face au ghetto, il tomba.
Recoudre
ce qui était déchiré
Une
cicatrice bien dessinée
Rapprocher
ce qui était séparé
Reconnaître
la moitié opposée.
Willy,
appelons-le ainsi
Willy
avait mal aux genoux
Du
gauche, du droit, il boitait aussi
Quand
il venait chez nous
Ô
ses douleurs, ce n'était pas arthrose, arthrite et compagnie
C'étaient
les séquelles d'un mal au pays
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