mercredi 12 février 2014

1967 – Le Papillon égaré

1967 – Le Papillon égaré

Canzone française – Le Papillon égaré – Marco Valdo M.I. – 2012
Histoires d'Allemagne 68

An de Grass : 67

Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.





Benno Ohnesorg – Assassinat politique



Comme tu le supputes ou tu le sais, sans doute même, le sais-tu depuis bien plus longtemps que moi, la philosophie n'est pas un jeu d'enfants. Quoique à certains moments, dans certaines époques, dans certaines circonstances, elle ressemble fort à un passe-temps d'enfants gâtés. C'est un peu, de façon sous-jacente ce que sous-entend notre narrateur. Il suffit d'écouter le refrain de la canzone, pour percevoir le dilemme du philosophe – ou de tout autre « intellectuel » : la prudente retraite ou le dérangeant engagement. Nizan avait déjà dénoncé cette « trahison des clercs » ; Sartre, un temps perdu entre l'être et le néant de la philosophie, réclamait l'engagement. C'en était ainsi en ces temps-là. On était en 1967 et le vent soufflant doucement encore annonçait une tempête. Notre narrateur est à l'Université de Fribourg où il tient un séminaire de philosophie, dans lequel il met en présence Paul Celan, poète juif de Bucovine, un rescapé des camps nazis et le philosophe local, dont je t'ai déjà parlé, Martin Heidegger, recteur de cette université au temps du nazisme. Rencontre historique ou papillon égaré ?


Je pencherais volontiers pour le papillon égaré... dit Lucien l'âne en raclant le sol d'un sabot noir et contestataire.


Donc, notre narrateur qui mène vaille que vaille son séminaire, dans cette université perdue au fond de la Forêt-Noire, décortiquant dans un silence monotone des vers de Celan, rumine les événements de Berlin où il était, il n'y a pas si longtemps. Plantons le décor : le Shah d'Iran, pétrole oblige, remis sur le trône par les Anglo-étazuniens en 1953, a progressivement instauré une dictature policière tout en préservant les intérêts de ses mentors. Une dictature policière suppose une police politique assez répressive et secrète, destinée à écraser toute opposition ou à liquider les opposants. Dans l'Iran du Shah, c'est la Savak. C'est elle qui va attaquer les étudiants berlinois qui manifestent contre la venue du Shah et de sa dame, Farah Diba. La police berlinoise non seulement n'interviendra pas contre les nervis de la Savak, mais en plus, elle poursuivra le travail des sbires iraniens et réprimera très brutalement la manifestation, qui se tient pendant une séance de gala en « l'honneur » du Shah au Deutsche Opera . Cette opération policière du soir s'appellera – nom de code : la chasse au renard. Entre matraquages, fumigènes et brutalités diverses, elle culminera par l'assassinat d'une balle dans le crâne à bout portant de l'étudiant Benno Ohnesorg. Entrée par l'oreille, la balle policière fera éclater le cerveau du jeune homme. L'auteur de ce crime crapuleux est l'officier de police Kurraz, qui ne sera jamais condamné pour cet assassinat.


Ainsi va le monde et la démocratie... Bref, un épisode de la Guerre de Cent Mille Ans que les riches et les puissants font aux pauvres et aux gens afin de renforcer leur puissance, d'assurer leurs privilèges, de démultiplier leurs profits, d'asseoir leur domination et d'instaurer le bon ordre.... Ainsi vont les mœurs d'État, les meurtres d'État et l'intérêt supérieur des nations, qui ne sont que les intérêts des riches et des puissants; des intérêts avec lesquels on ne badine pas. Ceci montre encore une fois combien il est nécessaire que nous tissions avec une terrible obstination le linceul de ce vieux monde ennuyeux, répressif, hypocrite et cacochyme.



Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.




En ce début d'après-midi
Tous méditent sur l'ennui
Du papillon égaré dans la monotonie
Du séminaire de philosophie


Les yeux ouverts,
Tous sommeillent
Farah Diba en Miss Univers
Peuple leur veille.

En ce début d'après-midi
Tous méditent sur l'ennui
Du papillon égaré dans la monotonie
Du séminaire de philosophie

À Berlin, grande réception à l'Opéra
Du Shah et de sa souris
Kölle Alaaf, qui va payer ça ?
Ce sont les gens du pays

En ce début d'après-midi
Tous méditent sur l'ennui
Du papillon égaré dans la monotonie
Du séminaire de philosophie

J'aurais dû être à Berlin
Face aux nervis du shah
Et à leurs battes de bois.
Pour soutenir les Iraniens.

En ce début d'après-midi
Tous méditent sur l'ennui
Du papillon égaré dans la monotonie
Du séminaire de philosophie

Chasse au renard, ce soir-là
Dans les rues autour du Deutsche Opera
Patrouilles, charges, matraques et compagnie
Une balle de flic dans la tête, Benno Ohnesorg sans vie.

En ce début d'après-midi
Tous méditent sur l'ennui
Du papillon égaré dans la monotonie
Du séminaire de philosophie

Un mois plus tard, est arrivé
Hésitant grandement à rencontrer
Le philosophe de l'étant au bord de l'étang,
Au cœur de la Forêt-Noire, le poète Paul Celan

En ce début d'après-midi
Tous méditent sur l'ennui
Du papillon égaré dans la monotonie
Du séminaire de philosophie

Au souvenir des morts et des camps
Entre le philosophe à la croix circulaire
Et le poète que l'étoile jaune encore éclaire
Le silence indicible de Todtnauberg s'étend.

En ce début d'après-midi
Tous méditent sur l'ennui
Du papillon égaré dans la monotonie

Du séminaire de philosophie.

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