1968
– ENFIN, SOIXANTE-HUIT
Canzone
française – Enfin, soixante-huit – Marco Valdo M.I. – 2012
Histoires
d'Allemagne 69
An
de Grass : 68
Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Rudi Dutschke |
Comme
bien tu penses, Lucien l'âne mon ami, et comme chacun d'ailleurs
peut le penser, de la façon la plus banale, après l'année mil neuf
cent soixante-sept est venue l'année mil neuf cent soixante-huit.
En
effet, dit Lucien l'âne ébahi par tant de justesse, voilà qui me
réjouit. Mais pourquoi me dis-tu cela d'une manière si
mystérieuse... Je suppose quand même que ton histoire d'Allemagne,
ta canzone, cette chanson a bien plus à raconter...
Évidemment.
Je m'en vais te le dire et te donner certaines indications
nécessaires à une bonne compréhension de la chose. Car, vois-tu,
ces chansons, d'une certaine manière, condensent l'histoire d'une
année, vue d'un point de vue principalement allemand. C'est
d'ailleurs une grande part de leur intérêt. Et bien entendu, pas de
n'importe quel Allemand et pas à n'importe quel moment... On a donc
ici Günter Grass, un grand écrivain, qui écrit depuis un
demi-siècle et qui réfléchit l'histoire de son pays. Et, avec ces
chansons, j'essaye par une autre voie, d'une autre manière, la
chanson précisément, de donner une version, une réélaboration de
ses histoires. Tu as donc, par ce biais, une idée de ce qu'il
raconte et en même temps, bien autre chose. Il est possible que
certains éléments échappent à qui n'a pas suivi l'histoire de
l'Allemagne, des éléments, des allusions, des évidences... Ce sont
là certaines des précisions que je vais apporter. Par ailleurs, je
te l'avoue, j'ai introduit des éléments qui s'agissant de 68 et de
l'aire géoculturelle qui est la nôtre, ne pouvaient être ignorés
ou passés sous silence. D'où, le « comme en France... » qui n'est
pas dans l'histoire vue par le narrateur qu'évoque Günter Grass.
Jusque
là, je t'ai suivi. Mais dis-moi ces précisions que tu veux me faire
connaître.
Tout
d'abord, cette chanson fait suite aux deux précédentes. En somme,
elle conclut en une trilogie le rapprochement entre Martin Heidegger
et Paul Celan. Ensuite, elle embraye sur la confrontation entre les
étudiants et la société. Je préciserais entre certains étudiants
(les SDS, par exemple, qui sont des étudiants qui se réclament d'un
socialisme libertaire – Ohnesorg, Dutschke, Krahl, le narrateur
sont de ce mouvement) et les chiens de garde de la société ; mais
aussi, plus généralement, entre la pensée (notamment, Adorno et
l'École de Francfort) et le système totalitaire, qu'il soit d'un
côté ou de l'autre du rideau de fer (dans la chanson, il est
question de l'invasion de la Tchécoslovaquie par des chars « amis »
et de la situation de la France où De Gaulle, alors président, va
s'assurer du soutien de l'armée stationnée en Allemagne auprès du
général Massu avant de réprimer violemment le mouvement étudiant).
Comme bien tu le sais, cette année-là, la pensée, comme la fleur
du même nom, s'est mise à fleurir au printemps. Ce qu'exprime cette
chanson, c'est qu'il y eut en l'année 1968, un surgissement de la
pensée dans les rues, dans les universités, dans les écoles, dans
les usines... En somme, à l'air libre.
Oh,
dit Lucien l'âne en se redressant brusquement, les hommes ont
toujours pensé, les hommes ont toujours voulu changer le monde...
Certainement.
Mais d'abord, il faut préciser en disant que ce n'était pas tous
les hommes, mais seulement certains qui avaient ce désir, cette
impérieuse impatience. D'ailleurs, elle était là depuis très
longtemps, elle bouillonnait sous la terre depuis longtemps, sous la
terre, dans le cœur et dans l'esprit et la conscience de ces
hommes... Ce qui fait la particularité de 1968, c'est que
subitement, comme la lave sourçant des bouches d'un volcan, elle a
envahi les rues et elle a changé le monde. Mais, étant donné son
caractère poétique, son caractère en quelque sorte marin, elle ne
s'est pas figée dans le béton des institutions que par ailleurs,
elle condamnait vivement. Elle s'est refusée à leur jeu. Et ceux
qui n'ont pas suivi sa voie, ceux qui sont entrés dans les jeux du
pouvoir, ont été avalés par la société et ont perdu l'essentiel
d'eux-mêmes. Étant une insurrection de la pensée, du cœur, de la
poésie, elle ne pouvait se soumettre au système, aux règles du
système, aux mensonges du système. Car, souviens-toi toujours de
ça, pour elle, comme pour toi, comme pour moi, se soumettre, ce
serait cesser d'exister. Tout comme, et pour les mêmes raisons, elle
ne peut collaborer, jamais. Et depuis, elle se prolonge encore...
Cependant, face à la répression et face à l'agression systématique
des médias, la pensée a pris le maquis, elle est entrée en
résistance... C'est elle qui souffle à nos oreilles : « Ora e
sempre : Resistenza ! » C'est elle qui a mis au jour le moteur de la
Guerre de Cent Mille Ans, qui a dévoilé cette avidité et cette
ambition, ce goût de la richesse et du pouvoir qui conduit les
riches à faire une guerre impitoyable aux pauvres afin de les
asservir au travail, de les contraindre à accepter leur domination,
à s'incliner devant leurs ukases, à respecter la propriété, la
richesse, la puissance, etc. Ainsi s'en va-t-elle, jour après jour.
Où qu'elle soit, même en prison et par-delà la mort, elle poursuit
inlassable son œuvre de résistance afin de mettre fin à la Guerre
de Cent Mille Ans, fin qui ne peut s'obtenir que par la disparition
de l'avidité et de tout ce qui en découle.
De
sorte que, Marco Valdo M.I, mon ami, il nous faut tisser encore et
toujours le linceul de ce vieux monde pourri par la richesse,
ignominieux, délateur, méprisant et cacochyme
Heureusement !
Ainsi
Parlaient, Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Enfin,
soixante-huit vint et ici comme en France
Fit
retentir dans les rues une autre cadence
De
ses mots à sa place remit le pouvoir
Et
réduisit dans la vie l'espace du devoir
Adieu
Heidegger, adieu herméneutique
Adieu
jargon hermétique, vive la dialectique
Rudi
Dutschke blessé, Ohnesorg mort
J'ai
rejoint les SDS, j'ai rejoint Francfort
Mais
qui dira les torts de la presse et de la télévision
Leurs
ignominies, leur goût prononcé de la délation
Leur
aversion pour la pensée, leur mépris des mots
Ainsi
parlait le musicien sociologue Adorno.
Les
étudiantes lui montraient leurs seins
Krahl
menait l'assaut au nom de notre grand dessein.
En
Allemagne, à Berlin, comme partout ailleurs
Les
étudiants se révoltaient contre leurs professeurs
Venez
donc voir notre belle Bohême
Son
socialisme au visage blême
Son
optimisme printanier
Et
ses touristes blindés
Rabbin,
dis-nous quand ils vont s'en aller
De
façon normale ou par intervention divine ?
Façon
normale : cent mille anges vont les emmener
Façon
miraculeuse : ils partiront en sourdine.
Soixante-huit,
la France est sans dessous dessus
De
Gaulle court chercher réconfort chez Massu
Demain,
Adorno et Krahl dans la mort réunis
Demain,
Celan se glisse sous les ponts de Paris.
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