1966
– Être, être
Canzone française – Être, être – Marco Valdo M.I. – 2012
Histoires
d'Allemagne 67
An
de Grass : 66
Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Nous ne ferons pas d'une autre guerre pour les riches |
Mon
ami Lucien l'âne, nos Histoires d'Allemagne se compliquent et
diablement.
Dis-moi,
Marco Valdo M.I., mon ami, en quoi peuvent-elles bien se compliquer
encore ?
En
ceci que le récit est fait cette fois par un étudiant en
philosophie et donc, naturellement, parle de philosophie et de
philosophes. Et tout naturellement se pose des tas de questions qui
ne viendraient pas à l'esprit de l'humain ou de l'âne moyen.
Certes, tel n'est pas ton cas et j'ai aussi quelques familiarités
avec l'histoire de ces moments – tu comprends, à force...
À
force ?, dit Lucien l'âne avec comme il le fait quand il est
vraiment dubitatif, avec les oreilles en points – la droite,
d'interrogation, la gauche en point d'exclamation. Ce qui fait que
quand on est face à l'âne, on voit ceci : ? !. Ce
qui exprime bien l'étonnement. À force de quoi ?
Ben,
à force de m'informer sur cette histoire et de la comprendre pour la
traduire sous forme de chanson. Car, vois-tu, la chose n'est pas
aussi simple qu'elle n'en a l'air. Bien sûr, on peut aimer ou pas
les chansons que je confectionne, on peut tout simplement les
apprécier ou carrément les rejeter en baillant ostensiblement afin
de bien montrer son ennui... Mais on ne pourra jamais dire qu'elles
tombent comme les alouettes, toutes crues du ciel.
Ce
ne doit pas être aussi compliqué que ça, Marco Valdo M.I., mon
ami... sinon, tu ne le ferais pas. D'ailleurs, je suis persuadé que
tu as des secrets de fabrication, un peu comme certains chocolatiers
ou certains cuisiniers, des tours de main, des techniques qui te
servent à faire tes chansons...
Certainement
et j'espère bien. Ce serait le diable et son train si je n'avais pas
mes manières de faire... À force... Donc, voici un étudiant en
philosophie qui se souvient de l'année 1966, du temps de ses
études... « Mil neuf cent soixante-six au beau temps ».
Il s'en souvient trente ans plus tard, donc vers 1996. « Qui
donc étais-je il y a trente ans ? », se demande-t-il et
il s'interroge sur ce qu'il faisait à l'époque à Berlin.
En
effet, que faisait-il à Berlin ?, dit l'âne en prenant un un
air ahuri.
Eh
bien, c'était une manifestation déjà contre les Zétazunis dans
laquelle on défilait en criant US GO HOME ! Pierre Doris
posait en première page de L'Os à Moëlle, le journal de Pierre
Dac, la même revendication en des termes bien plus drôles :
ESCARGOT HOME !. Ce slogan est toujours une exigence antiguerre
et fortement procivile à l'heure actuelle et tout comme cette autre
question que posaient à l'époque les manifestants du monde entier
au Président des Zétazunis et qui n'a pas perdu son sens
aujourd'hui : « How many kids did you kill today ? »...
Comme tu le vois elle est en étazunien et de fait, elle commença sa
carrière aux Zétazunis. Rengaine étazunienne et sans doute, dès
lors, au départ, les « kids » seraient ainsi les soldats
étazuniens... Les étudiants étazuniens de Berkeley et d'ailleurs
demandaient ainsi ainsi des comptes au Président de l'époque :
combien de jeunes faites-vous tuer dans votre guerre au Vietnam ?
Excellente
question, mais à mon sens, un peu peu catégorielle, dit Lucien
l'âne... La guerre ne tuait pas que des militaires étazuniens ;
elle tuait beaucoup de civils vietnamiens, par exemple. Des millions,
au total.
C'est
parfaitement exact, mais en outre, Lucien l'âne mon ami, tu
remarqueras que les « kids », si l'on s'en tient à la
signification générale du mot, ont une valeur plus universelle, ce
sont les enfants... Dès lors, traduisons : « Combien
d'enfants avez-vous tués aujourd'hui ? »... Bien sûr, dans
les lieux où sévissent les « kids » étazuniens... Pas
seulement à l'époque de la guerre du Vietnam, mais aussi, hier et
aujourd'hui, car les massacres continuent.
C'est
une illustration de la Guerre de Cent Mille Ans que les riches et les
puissants font aux pauvres et aux faibles, partout dans le monde.
« Combien d'enfants avez-vous assassinés aujourd'hui ?...
vous qui dominez le monde ? » Quels enfants ? Les
enfant assassinés par la faim, la sous-alimentation ou la maladie ou
l'exploitation ou le travail forcé... Ou, dit encore Lucien l'âne,
par la soif, par le manque d'eau, par le manque de médicaments, par
le manque de soins... Bref, par tous les manques engendrés par la
richesse de quelques uns, par le « train de vie »
excessif de certains hommes, régions, pays, entreprises. Par la
misère qu'ils infligent aux peuples du monde... Toujours la même
question : « Combien faut-il de pauvres pour faire un
riche ? »
Une
dernière chose à propos de cette guerre du Vietnam... Rends-toi
compte, Lucien l'âne mon ami, c'était il y a cinquante ans, il y a
un demi-siècle et les Zétazunis sont toujours en guerre à l'heure
qu'il est... Et on leur reproche toujours encore à l'heure où je te
parle cette aventure délirante du Vietnam... Évidemment, à peine
remis du Vietnam, ils sont allés je ne sais trop où : au
Liban, en Somalie, en Irak, en Afghanistan...
À
mon avis, jusqu'à ce qu'ils cessent de jouer les matamores... On
leur en parlera encore longtemps de cette guerre du Vietnam qu'ils
ont perdue si splendidement.
Et
puis, enfin, notre étudiant se souvient aussi des interrogations
qu'il fallait se faire sur le philosophe Heidegger, membre du Parti –
NSAPD – le parti nazi et la considération qu'il porta à Hitler.
« En trente-deux, affilié au Parti. Il a dit : Hitler
sauve le pays » Et le silence qu'il s'imposa plus tard, après
avoir peut-être compris...
« Le
philosophe de l'être et de l'étant
Ruminant,
méditant
Dans
un grand silence blanc.
S'en
allait vers le néant. »
Comme
quoi, dit l'âne Lucien, on peut être un philosophe et être atteint
de cécité intellectuelle... Quoi qu'il en soit de la philosophie et
des philosophes, nous qui « Noi non siamo cristiani, siamo
somari », nous qui ne nous revendiquons que comme somari, comme
bêtes de somme, nous qui nous voulons descendants de la Fraternité
des Pauvres et des canuts, nous tissons le linceul de ce vieux monde
de l'Être, du paraître tout autant, de l'étant et néanmoins
cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Être,
être, mots sublimes, crépusculaires
Simples
cliquetis informes et vains
Soudain
pris dans la lumière
Ne
disent plus rien
Mil
neuf cent soixante-six au beau temps
On
commémore des anniversaires bien différents
La
Petite Allemagne de Sadowa a cent ans
Verdun
et la Somme ont cinquante ans
Nous
les étudiants, quand on a manifesté
Les
œufs pleuvaient sur le nid des Américains
On
criait « US Go Home ! » à Berlin
« Hey,
Hey, LBJ How many kids did you kill today ? »
J'y
étais moi aussi, quand j'étais étudiant
Au
coude à coude, en serrant les rangs,
Je
me vois encore courant, hurlant
Qui
donc étais-je il y a trente ans ?
Oh,
j'étudiais l'histoire des religions, la philosophie
Kant,
Hegel, Husserl, et toute la sainte litanie
Je
vaguais sur le chemin de campagne derrière Heidegger
J'étais
un des plus assidus aux séminaires
National
et social, cet Heidegger
Un
philosophe très terre à terre
En
trente-deux, affilié au Parti
Il
a dit : Hitler sauve le pays
Plus
tard, réfugié dans sa hutte
À
l'écart de toutes nos luttes
Entre
Todtnau et Todtnauberg, à travers champs
Il
suivit son chemin jusqu'au banc.
Le
philosophe de l'être et de l'étant
Ruminant,
méditant
Dans
un grand silence blanc.
S'en
allait vers le néant.
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