1975
– Les Neuf Cuisinières
Canzone
française – Les
Neuf Cuisinières
– 1975 – Marco Valdo M.I. – 2012
Histoires
d'Allemagne 76
An
de Grass : 75
Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Entre mes neuf sorcières,
Mes neuf cuisinières
|
Dis-moi,
Marco Valdo M.I., mon ami, qu'est-ce que c'est que cette histoire
d'Allemagne où tu chantes neuf cuisinières... Tu ne vas quand même
pas me dire que ce sont là neuf dames que tu as fréquentées et
avec lesquelles tu as partagé des moments et des sentiments
d'amour...
Ho,
Lucien l'âne mon ami. Je t'arrête là... Car, je te rappelle que
cette chanson est une de ces Histoires d'Allemagne que j'ai été
chercher chez Günter Grass et que de surcroît, ce sont des dames du
temps jadis [[http://www.youtube.com/watch?v=Ip7fIB4aOeA]]. Même si,
tous comptes faits, je te le confie secrètement, c'est bien là une
déclaration d'amour... Collective, en quelque sorte, ainsi que tu le
verras d’entrée de jeu... Mais parlons un peu de la chanson
elle-même. C'est là une chanson assez complexe qui tend à donner
une idée de la complexité de ce fameux Turbot que Günter Grass
(Spätaufklärer) écrivait cette année-là, même si la publication
s'en fit plus tard. Comme tu le sais, il y a une latence entre le
faire et le publier...
D'accord,
mais explique-moi un peu cette chose si complexe...
Donc,
Lucien l'âne mon ami, il te faut considérer qu'il y a neuf
cuisinières, qui sont des sortes de sorcières d'autres temps, neuf
dames du temps jadis. Chacune a son histoire racontée en neuf vers;
chaque strophe s'appelle dès lors un neuvain. Il y a donc neuf
neuvains, plus une déclaration d'amour introductive, qui annonce en
un vers chacun des neuvains de la chanson; soit, elle aussi composée
de neuf vers. Et sache, mon ami Lucien l'âne aux si belles oreilles
du plus beau basalte, que ces neuf neuvains sont neuf étapes
correspondant aux neuf mois d'une portée... Tout ceci ayant une
relation assez directe avec les gestations que le sieur Günter Grass
fit endurer à ses compagnes en même temps qu'il accouchait lui-même
régulièrement des œuvres considérables que l'on sait.
En
effet, ça m'a l'air assez complexe tout ça...
Et
ce n'est pas tout. Chaque dame étant cuisinière, apporte son plat à
cette agape grassiane. On a donc droit à, successivement : du
fromage blanc, des raves, de la hure, des tripes, des abattis (avec
armoise?), des papas, des champignons (amanites phalloïdes?) et des
rognons sauce moutarde... Note que dans la vie quotidienne, Günter
Grass – à ce moment – se trouve dans de grandes difficultés
d'ordre domestique... Il change de dame et cela bouleverse fortement
les sens de la tribu, car finalement il nous faut bien considérer
les familles successives de Günter Grass comme une sorte de tribu,
dont il serait le patriarche – par ailleurs, assez contesté dans
ses attributions ataviques.
Et
c'est tout ?, dit l'âne Lucien en clignant un œil dubitatif...
Pas
vraiment... Il est aussi question de bien des choses et par exemple,
de la disparition de Carlo Levi et de la pendaison de Ulrike Meinhof
(un assassinat d’État), des perfectionnements des techniques de
répression utilisées par les autorités contre les manifestants
antinucléaires...
Et
ce n'était qu'un début..., dit Lucien l'âne. Nos démocraties ont
encore fait mieux depuis... Je veux dire qu'elles ont encore trouvé
le moyen de réprimer plus fort et plus efficacement depuis :
lacrymogènes, véhicules blindés, hélicoptères, balles en «
caoutchouc », boucliers, matraques...
Et
pendant ce temps-là, comme ils le font depuis 1947, des écrivains
des deux moitiés d'Allemagne se rencontrent dans la partie orientale
de Berlin avec le projet de débarrasser la langue allemande de ses
relents de peste brune... Un enfant turc se noie dans la Spree sous
le regard expert des services de secours et les femmes entament leur
mélopée mortuaire.
Quelle
chanson, quelle histoire... Ce vieux monde était déjà assez
insupportable, en ce temps-là. Il ne va pas mieux aujourd'hui...
Regarde ce qu'ils font aux Grecs, ils le feront bientôt aux autres
gens d'Europe. Quant au reste du monde, c'est toujours misère,
guerre et compagnie. Bref, la Guerre de Cent Mille Ans que les riches
font aux pauvres aux seuls fins de s'enrichir plus encore et
d'assurer leur domination et leur pouvoir continue. C'est pour cela
que nous devons sempiternellement tisser le linceul de ce vieux monde
périmé, répressif, affameur, méprisable et cacochyme.
(Heureusement
!)
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Déclaration
d'amour aux neuf cuisinières :
J'aime
ton fromage blanc... Ava
J'aime
tes raves... Wigga
J'aime
ta hure en gelée... Mestwina
J'aime
tes harengs... Dorothéa
J'aime
tes tripes et ton foie de morue... Margaretha
J'aime
tes abattis d'oie... Agnès, ah !
J'aime
tes papas... Amanda
J'aime
ta tête de veau aux champignons patriotiques... Sophia
J'aime
tes rognons sauce moutarde révolutionnaire... Lena
Ava
... écoute-moi
Cette
année-là, Ava
À
la maison, ça ne carburait pas trop bien
Entre
une femme et l’autre
Le
passage est difficile
Ça
parasite tout et on ne sait plus rien
Les
enfants font la gueule
La
mémoire s'est perdue dans un coin
Où
? Là-bas, en ville.
Ava
: ton fromage blanc...
Wigga
Il
faut que tu me croies
Anna
s'écartait de moi
Et
venait Veronika
Mon
truc pour surnager ces années-là,
J'étais
le turbot de la Baltique
Poisson
massif, éternel et magique
Entre
mes neuf sorcières,
Mes
neuf cuisinières
Wigga
: tes raves...
Mestwina
Nourricière
et meurtrière
De
l'archevêque Adalbert
Quand
on arriva
Quatre
ou cinq à la frontière
Comme
les autres fois
On
nous contrôla
Avec
nos manuscrits et nos bières
Depuis
quarante-sept, on passait là
Mestwina
: Ta hure en gelée...
Dorothée,
ma soeur
Dévouée
et mystique
Venue
du flamboyant gothique
Ils
ont pendu Ulrike
N'as-tu
pas peur
De
cette terreur
À
Stammheim, de cette virulence
Des
forces de la puissance
Qui
impose le silence.
Dorothéa
: tes harengs...
Margarethe,
La
Grosse Gret
La
puissance, parlons-en
Elle
fuyait Saïgon par les toits
De
l’autre côté, pendant ce temps,
On
mangeait sans trop se presser
Gâteaux
et biscuits arrosés de café
Tout
en nous racontant nos histoires
Qu'on
inscrira plus tard dans les mémoires.
Margaretha
: tes tripes et ton foie de morue...
Agnès
La
Kachoube de la Guerre de Trente Ans
Où
les princes massacraient les paysans
Pour
rien, pour une messe
Avait-on
jamais vu pareils déments
Ravager
les territoires allemands
Hic
et nunc, pendant ce temps
À
Broksdorf, au chantier nucléaire
Contre
les manifestants, c'est la guerre.
Agnès
: tes abattis d'oie...
Amanda
La
Prussienne, dame extraordinaire
Qui
initia la Pologne tout entière
Aux
charmes discrets de la papa.
Un
enfant turc est tombé dans la Spree
Au
Kreuzberg, sur la frontière
Personne
n'a pu le sauver
Ni
la police de l'ouest, ni les matelots populaires
Les
femmes turques ont entonné
Leurs
psalmodies mortuaires
Amanda
: tes papas... pommes de terre
Sophia
Le
Christ s'était arrêté à Eboli
Ô
! Sophia, te souvient-il
Qu'au
début de janvier de cette année-là
Mourait
à Rome Carlo Levi
Noi,
non siamo cristiani
Siamo
somari
Disent
les paysans de Lucanie
Ainsi
continue la vie...
Sophia
: ta tête de veau aux champignons patriotiques...
Lena
Ainsi,
dans notre Berlin double
Par
deux fois, cette année-là
Sous
l’œil des agents doubles
Qui
ne nous entendaient pas
Nous
lisions à haute voix
Poèmes,
nouvelles, chapitres et romans
Au
retour, je cherchais un toit accueillant
Pour
nous abriter mon Turbot et moi.
Lena
: tes rognons sauce moutarde révolutionnaire...
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