1976
– Les Oreilles d'Anna Stasi
Canzone
française – Les
Oreilles d'Anna Stasi
– Marco Valdo M.I. – 2012
Histoires
d'Allemagne 77
Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Madame Anna Stasi par Gill |
Quel
titre encore une fois, ton Histoire d'Allemagne... Les oreilles
d'Anastasie... Qu'est-ce que ces oreilles viennent faire dans cette
grande épopée tudesque ?
Tudieu,
Lucien l'âne mon ami, il faut que je t'explique comment j'en suis
arrivé là. Ça faisait des jours que je tournais en rond en me
demandant comment je pourrais bien assaisonner cette année 1976 de
mes Histoires d'Allemagne, où il y a quand même une contrainte
essentielle : tenir le propos de l'auteur d’origine : Günter
Grass. L'année 76 du Siècle de Grass... Disons : en l'an de Grass
septante-six. Donc, cette année-là, il (Günter Grass) nous
entretient des relations entre le Groupe 47 et la Stasi, laquelle
n'était autre que la police secrète de la République démocratique.
Cette année-là, le Groupe 47 réunissait ses écrivains des deux
Allemagnes à Berlin-Est. Et les écrivains du groupe 47, comme tu le
sais déjà, n'étaient pas nés de la dernière pluie et avaient
tous un souvenir assez précis du Reich de Mille Ans et de ses
services secrets tels que le S.D. et la Gestapo, ainsi que de
certaines de leurs pratiques. D'autre part, depuis des années durait
une guerre froide, qui est une guerre qui sans être une guerre et
est quand même une guerre... ou quelque chose comme ça.
Bref,
dit l'âne Lucien en faisant tressauter sa panse, une sorte d'épisode
de la Guerre de Cent Mille Ans que les riches – ceux qui détiennent
la richesse et ceux qui tiennent le pouvoir – font contre les
pauvres (c'est-à-dire ceux qui n'ont ni l'une ni l’autre et ne
s'assimilent ni au désir de domination des uns, ni à l'appétit de
pouvoir des autres) afin d'assurer leurs profits, de développer leur
puissance, de faire régner une terreur qui n'ose pas dire son nom et
se cache sous le nom de « sécurité ».
Oui,
je pense comme toi, que l'on camoufle la terreur sous le nom de «
sécurité » et qu'on baptise démocratie le régime de la totalité.
Enfin, qu'on nomme paix cette guerre civile permanente. C'est une
guerre remplie de militaires en civil... Il s'agit de dompter les
populations et chaque camp a ses méthodes : par exemple, d'un côté,
la publicité, de l'autre, la propagande.
Mais,
dit Lucien l'âne en ouvrant de grands yeux noirs comme le charbon de
Silésie, mais c'est la même chose...
En
effet... Publicité et propagande sont du jus du même tonneau. Et à
propos de propagande, de publicité ou de diffusion d'information
dirigée, on n'avait lésiné ni d'un côté, ni de l'autre de la
frontière. Tout faisait farine au moulin guerrier : les journaux, la
radio, le cinéma, la télévision... Tous s'efforçaient d'alimenter
un bouche-à-oreille diffamatoire et calomnieux. Il s'agissait quand
même de déconsidérer l'autre partie et de magnifier son camp.
Donc, depuis des années, on répandait le bruit d'une écoute
systématique des habitants de la partie démocratique par – et
nous y voilà – la Stasi : acronyme pour la Sécurité d'État.
Dans la bonne tradition étazunienne, on voyait des espions partout,
des mouchards à chaque coin de rue, des micros et des caméras dans
les endroits les plus retirés. Et notre petite histoire montre qu'il
n'en était rien et que la propagande transatlantique accordait à la
pauvre Stasi des moyens qu'elle n'avait pas. En fait, cette
propagande reproduisait – dans le camp adverse – sa propre image
tout remplie des agents de la CIA et du FBI et autres services du
genre... Elle attribuait aux autres ses propres turpitudes. Sais-tu
qu'actuellement, aux Zétazunis, les "services" ont
tellement d'"informateurs" (on en compte environ deux cent
mille) que le budget prévu n'y suffit plus.
M'est
avis, dit Lucien l'âne en secouant son élégante crinière, qu'ils
doivent être vraiment très informés... Et même trop...
Le
plus étonnant, c'est que ça marchait et que même, nos écrivains
des deux Allemagnes y ont cru peu ou prou. À tel point que lors de
leurs rencontres, ils discutaient en tenant compte de la présence de
micros ou d'espions cachés dans les placards, derrière les portes,
dans les plafonds comme Dul la Soupente, qui espionnait dans les
montagnes d'Albanie les enquêteurs transatlantiques à la poursuite
du dernier rhapsode homérique. Enfin, c'est là l'histoire d'un
dossier mis à jour par Ismaïl Kadaré ; le dossier H...
Dossier
H ?, demande Lucien l'âne, un brin interloqué et au fond de
ses yeux passe un rai de rire. H, comme la bombe ?
Allons,
Lucien l'âne, ne te moque pas... Je vois bien que tu sais
parfaitement de quoi il s'agit et que d'ailleurs, tu dois en savoir
plus que tout les services réunis sur ce dossier... Tu es quand même
le seul être sur cette planète qui ait porté Homère sur son dos.
Mais pour en revenir à nos écrivains du groupe 47 et à leur manie
de l'espionnite, fille de la rumeur, on peut conclure qu'ils
s'étaient eux aussi laissé berner, comme toutes les populations
d'Europe et d'ailleurs. Donc, en conséquence de toute cette
propagande, on (pas seulement nous), on accordait à la Stasi des
oreilles qu'elle n'avait pas.
Je
vois bien, dit Lucien l'âne en balançant sa queue comme une
aiguille de métronome, comment la Stasi arrive dans ton histoire
d'Allemagne, mais que vient faire là, une Anastasie ?
C'est
que, vois-tu Lucien l'âne mon ami, quand il est question de chanson,
j'en arrive toujours à en fredonner une... Et Stasi, stasi... Ça me
disait quelque chose. Et la Stasi, la Stasi... Ça trottait dans ma
tête... Ça trottait et d'un coup, j'ai retrouvé ce petit refrain
de Béranger :
«
Anastasie, l'ennui m'anesthésie... » ( voir le Tango de l'ennui :
http://www.antiwarsongs.org/canzone.php?id=42010&lang=it).
De
là, par homophonie, en quelque sorte, j'en suis venu à Anna Stasi
et à ses oreilles. Et puis, Anastasie, laisse-moi te rappeler que
depuis la seconde moitié du dix-neuvième siècle en France, c'est
la censure personnifiée : une laide dame avec des ciseaux partout ;
rien à voir avec les saintes canonisées. Enfin, tu comprendras tout
avec la chanson. Et si la Stasi, dont l'ouverture des dossiers a
montré qu'elle ne faisait pas autant d'espionnage et d'écoutes
qu'on lui en prêtait, si la Stasi a disparu en même temps que la
République démocratique, les procédés et les techniques qu'on lui
attribuait (et dont elle n'avait que très moyennement usé – faute
de moyens techniques adéquats) se sont depuis copieusement
développés et nous entourent... En fait, nous vivons dans une sorte
de 1984, cernés par les caméras, les enquêtes, les sondages et la
publicité dans un système plus totalitaire que jamais. Bref, les
oreilles d'Anna Stasi étaient sans doute fictives, mais à présent,
elles sont bien là et même, elles se sont adjoint de très bons
yeux...
Tudieu,
Marco Valdo M.I., mon ami, il nous faut conclure, même si grâce à
l'internet, nous sommes tous à notre tour soumis à une surveillance
de tous les instants. Et comment conclure ? Si ce n'est en reprenant
notre sempiternelle tâche et en recommençant à tisser le linceul
de ce vieux monde mythomane, publicitaire, propagandiste,
totalitaire, fouineur et cacochyme. (Heureusement !)
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
Dans
le groupe, ça fonctionnait comme ça
Ceux
d'ici apportaient les nouvelles à ceux de là
On
ambitionnait un autre monde possible
Mais
pour Anna, nous étions la cible
Les
années nazies, S.D. et Gestapo et puis :
Chez
nous ici, on avait des oreilles atlantiques
Chez
eux là, dans la démocratique
Les
oreilles étaient celles d'Anna Stasi
On
l'a toujours su évidemment
On
se connaît entre Allemands
Débiter
des histoires de peur
Pour
égayer nos zélés auditeurs
Des
moments grandement poétiques
Des
élucubrations fantastiques
De
la vraie poésie, du non-sens
En
somme, nous étions bien sages
Et
puis le soir venu, on repartait dans l'autre sens
Pour le même enthousiasmant voyage
Anna Stasi, l'ennui anesthésie
Pour le même enthousiasmant voyage
Anna Stasi, l'ennui anesthésie
Au
fil du temps, nous avons découvert
Grâce
aux dossiers transmis par Schlessinger
Que
la Stasi tout comme la possédée de Bavière
N'avait,
malgré sa réputation d'enfer
Pas
d'espion, ni de micros parmi nous
Sauf
Tallhover, mais c'est une autre histoire.
Quelle
déception, quel trou dans notre mémoire.
Nous
étions suivis à la trace : qui, comment, où,
Combien
de temps, quand,
Combien
de gens, dans quelle Trabant...
Rien
de plus
Le
père de Zazie aurait conclu
On
causait, on causait,
C'est
tout ce qu'on faisait
De
tout cela, Anna n'a pas pris conscience
On
traversait cet étrange mirage
Et
le soir venu, on repartait dans l'autre sens
Pour le même enthousiasmant voyage
Anna Stasi, l'ennui anesthésie
Pour le même enthousiasmant voyage
Anna Stasi, l'ennui anesthésie
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