1981
– Croix de Bois, Croix de Fer
Canzone
française – Croix
de Bois, Croix de Fer –
Marco Valdo M.I. – 2012
Histoires
d'Allemagne 82
An
de Grass 81
Au travers du kaléidoscope de Günter Grass : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Au travers du kaléidoscope de Günter Grass : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Qu'est-ce
que c'est encore que cette histoire de croix de bois, croix de fer ?
Que viennent-elles faire dans les histoires d'Allemagne ?, dit Lucien
l'âne en tapant ses oreilles en l'air.
Enfin,
Lucien l'âne mon ami aux oreilles splendides, tu sais aussi bien que
moi que dans notre langue française, il existe une antienne
enfantine de chez nous qui dit : « Croix de bois, croix de fer, si
je mens je vais en enfer ! ». Une antienne qui est serinée aux
enfants depuis que les catholiques ont inventé l'enfer et la
punition comme mode de régulation de la société. Pour les croix de
bois, il suffit d'aller voir les cimetières militaires ou de relire
Roland Dorgelès. Pour les croix de fer, c'est une décoration
militaire allemande... Oh, elle date du premier Reich et même, du
royaume de Prusse... On ne l'a pas abandonnée depuis... Toujours la
même distinction... Imagine ce que ça signifie... Remarque au
passage qu'elle est devenue le symbole de l'actuelle armée
allemande.... Peut-être n'y a-t-il là rien d'inquiétant...
J'aimerais
le croire, dit Lucien l'âne en raidissant l'échine. Mais, je n'en
suis pas si certain...
Moi,
non plus ! Comme disait Voltaire à propos de l'Église catholique :
« La caque sent toujours le hareng ! » Par ailleurs, pour en
revenir à notre canzone, c'est toujours complexe ces histoires
d'Allemagne ; ce qui fait qu'il faut presque toujours les
expliquer... Au moins un peu. Cela dit, ce sont des canzones et on ne
peut exiger d'elles plus qu'elles ne peuvent donner... Le genre a ses
limites... Il réclame l'indulgence de l'interlocuteur, tout autant
qu'une certaine dose d'intelligence de la part de ce dernier.
Cependant, tu as raison, on ne peut lui refuser quelques
indications... Ainsi, l'histoire est contée par un narrateur dans
une lettre qu'il envoie à son amie, laquelle se prénomme Rosi. Le
narrateur est un jeune Berlinois qui squatte (avec foule d'autres)
dans le quartier du Kreuzberg.
Jusque
là, dit Lucien l'âne, j'ai suivi.
Donc,
notre jeune homme – dont on ne connaîtra jamais le nom, ni le
prénom... explique son brusque départ par un télégramme de sa
grand-mère paternelle, dite Mamie, une dame assez autoritaire. Comme
il l'explique : avec Mamie, on ne discute pas ; on exécute. Et Mamie
en mémoire de ses deux fils Karl et Konrad, morts sous la mer, lui
intime l'ordre d'assister avec elle à l'enterrement d'un nazi de
haut rang, l'amiral Dönitz, dit le grand amiral. C'est au cimetière
de Hambourg, autour du cercueil du « héros des océans » que ce
jeune Allemand va découvrir un tas de Croix de fer... Ce sont les
survivants du grand massacre sous-marin – il y avait quand même eu
trois cent mille cadavres dans ces cercueils flottants de la
Kriegsmarine. Il va donc les découvrir et les entendre chanter, les
survivants – accompagnés par de jeunes clampins en culottes
courtes, avec uniformes et tambours...
La
nouvelle vague ?, demande Lucien l'âne...
Sans
doute. Le terme est bien choisi... Je me demande même, s'il ne faut
pas voir dans cette Mamie quelque peu dictatoriale l'incarnation de
la continuité de l'Allemagne... convoquant son petit-fils pour qu'il
prenne la relève... D'ailleurs, dans la lettre que ce dernier envoie
à son amie, on apprend que cette grand-mère de fer lui suggère de
venir habiter chez elle avec Rosi – la destinatrice du courrier.
Mais là, c'est pure interprétation...
Peut-être,
peut-être...
.
Peut-être,
en effet, Lucien l’âne mon ami. Peut-être est-ce pourtant bien
l'Allemagne de cette année 1981 qui invite le jeune homme
(c'est-à-dire la jeunesse allemande) à revenir à la bonne
tradition. Dès lors,la question est de savoir de quelle tradition,
il s'agit. Et là, j'ai une certaine idée de la chose...
Tu
n'as peut-être pas tort... dit l'âne Lucien en marquant sa
réflexion d'un raclement de sabot.
Je
pense même qu'il faut voir les choses plus profondément. Car, qui
est donc ce « grand amiral », si ce n'est le successeur désigné
de Hitler et le Président du Quatrième Reich ; celui-là même qui
aurait voulu sauver le régime nazi au travers d'une paix négociée
avec les Alliés occidentaux afin de poursuivre le grand rêve
bismarckien... En somme, c'est le continuateur... C'est bien lui
qu'on enterre là, c'est bien lui qui est dans un cercueil, couché
sous le drapeau noir-jaune-rouge de la République fédérale, avec
sa haie d'honneur – bras levés et tendus des survivants à la
croix de fer et le « Deutschland über alles... ». Dès lors, la
Mamie serait donc bien la vieille Allemagne, nostalgique des Reichs
engloutis et passant le flambeau aux jeunes...
On
en voit d'ailleurs les effets à présent..., dit Lucien l'âne.
Cette Allemagne-là s'est perpétuée et tend à prendre le contrôle
de l’Europe, à la confondre avec la réalisation de sa propre
ambition. On voit bien ce qu'il va en être du rêve d'Otto quand on
regarde ce qui se passe à Athènes... Über alles in Europa...
REGARDEZ CE QU'ILS FONT AUX GRECS, ILS VOUS LE FERONT DEMAIN. On y
ajoutera bientôt les Espagnols et sans doute après, les Italiens et
puis, tous les autres. Quant à la progression vers l'Est... Elle est
déjà bien entamée. Ceci aussi est un épisode de la Guerre de Cent
Mille Ans et une raison de plus de nous atteler à notre tissage du
linceul de ce vieux monde nauséabond, nostalgique, impérialiste et
cacochyme. (Heureusement !)
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
Un
ordre de Mamie, sans détour
Immédiatement,
train pour Hambourg
Croix
de bois, croix de fer
Si
tu meurs, tu vas en enfer
Du
squat de Kreuzberg, j'étais parti bien matinal
Pour
le dernier voyage du grand amiral
Croix
de bois, croix de fer
Moins
les trois cent mille sous la mer
Ils
sont venus, les survivants
Les
sous-mariniers d'antan
Croix
de bois, croix de fer
Moins
les trois cent mille sous la mer
On
était deux cents à l'enterrement
De
Dönitz à se geler dans le vent
Croix
de bois, croix de fer
Moins
les trois cent mille sous la mer
Croix
de fer au cou, casquette sur la tête
Sans
manteau, comme face à la tempête
Croix
de bois, croix de fer
Moins
les trois cent mille sous la mer
Les
rescapés dans le froid de canard
Portaient
le cercueil drapé rouge, jaune et noir
Croix
de bois, croix de fer
Moins
les trois cent mille sous la mer
Et
tous chantaient, nostalgie et mémoire
L'
« Über alles » et le Kamerad, leurs vieux chants de
gloire
Croix
de bois, croix de fer
Moins
les trois cent mille sous la mer
J'étais
là. Mamie m'avait obligé
Pour
oncle Konrad et oncle Karl qui n'étaient jamais remontés
Croix
de bois, croix de fer
Dans
les trois cent mille sous la mer
En
rentrant, les flics avaient tout dégagé
À
la matraque. On va se reloger dans le quartier.
Croix
de bois, croix de fer
Nous,
on ne se laisse pas faire.
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