1915
- Casques à pointe et casques d'acier
Canzone
française – Casques à pointe et casques d'acier – 1915 –
Marco Valdo M.I. – 2011
Histoires
d'Allemagne 16
An
de Grass : 15
Au
travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle »
(Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition
française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses
traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Je
reviens cette fois, mon ami Lucien l'âne, avec la suite de ces
canzones qui racontent des Histoires d'Allemagne et à cette
extraordinaire rencontre entre ces deux grands écrivains allemands,
aussi opposés qu'il est possible. Mais je vois que tu te souviens de
l'épisode précédent où les deux anciens des tranchées de la
Somme, de Verdun ou des Flandres faisaient entendre leurs nettes
différences de conception. Ernst Jünger, dit les Orages, du titre
de son roman « Les Orages d'Acier », comme le laisse penser un tel
titre était un fervent polémophile, empli d'un grand enthousiasme
guerrier. Erich Maria Remarque, dit À l'Ouest, du titre de son roman
« À l'Ouest, rien de nouveau » prenait plus en compte la douleur
des hommes et ne montrait aucun penchant pour les grands exploits
héroïques, ni pour la vie d'homme des casernes. On les retrouve ici
qui poursuivent leur conversation un peu polémique, quand même.
Jusque
là, j'avais suivi et par ailleurs, je suis bien content de retrouver
ces deux témoins directs de cet énorme carnage. Évidemment, nous
ne pourrons rien y changer, mais en savoir un peu plus, en savoir
surtout autrement que par des récits linéaires et circonstanciés,
en savoir par la voie poétique de la canzone, est une réelle
découverte. Il y a là une manière d'aborder les choses qu'on ne
trouve pas habituellement. De quoi parlent-ils cette fois et quelle
est donc cette demoiselle qui tout d'un coup surgit dans cette
canzone ?
Je
commencerai par répondre à propos de cette mystérieuse demoiselle,
dont je ne connais d’ailleurs pas le nom, mais la seule chose dont
je peux t'assurer, c'est que c'est la journaliste suisse qui les a
invités à cette rencontre. En somme, c'est leur hôte et
l'ordonnatrice de leurs débats. C'est ce qui explique sa présence,
son intervention, et aussi bien sûr, sa réplique aux « Orages »;
enfin, dis-toi bien que c'est elle qui relate cette entrevue. C'est
donc un personnage essentiel. Pour le reste, cette fois, la
conversation va tourner autour de la question des casques utilisés
pendant cette guerre, affaire toujours vue du côté allemand, il ne
faut jamais l'oublier. Au commencement était le casque à pointe,
dont il te souviendra que Guillaume le portait volontiers et qu'il
faisait grosse impression sur les publics des cérémonies
militaires; il en avait même fait un argument diplomatique lors de
son passage à Tanger, par exemple. La pointe avait plusieurs usages
et sans doute pas celui de foncer tête baissée pour embrocher
l'adversaire, mais bien celui d'impressionner en rehaussant la taille
de celui qui le portait.
Je
ne voudrais pas t’interrompre, mais je te propose de prendre
connaissance de ce qu'en disait – dès 1835, Heinrich Heine, dans
son « Allemagne - Conte en hiver »... Il disait :
« Je
fus assez content du nouveau costume de cavalerie ; je dois en faire
l’éloge : j’admire surtout l’armet à pique, le casque avec sa
pointe d’acier sur le sommet. Voilà qui est chevaleresque, voilà
qui sent le romantisme du bon vieux temps, la châtelaine Jeanne de
Montfaucon, les barons de Fouqué, Uhland et Tieck. Cela rappelle si
bien le Moyen Âge avec ses écuyers et ses pages, qui portaient la
fidélité dans le cœur et un écu sur le bas du dos ; cela rappelle
les croisades, les tournois, les cours d’amour et le féal servage,
et cette époque des croyants sans presse, où les journaux ne
paraissaient pas encore.
Oui,
oui, le casque me plaît ! Il témoigne de l’esprit élevé de S.
M. le spirituel roi de Prusse. C’est véritablement une saillie
royale ; elle ne manque pas de pointe, grâce à la pique. Seulement
je crains, messires, quand l’orage s’élèvera, que cette pointe
n’attire sur votre tête romantique les foudres plébéiennes les
plus modernes. »... Et en effet, les foudres tombèrent dru et
le pauvre armet n'y put rien. On le démobilisa, comme c'était
devenu inévitable.
À
la fin, on en était au casque d'acier, qui était plus discret et
sans doute, un brin plus efficace pour protéger la tête du porteur.
Mais, encore une fois, ces considérations apparemment ineptes ont un
autre sens et permettent de décrire à nouveau certaines réalités
atroces de cette guerre, dans une manière qui se rapproche de celle
du fameux « dormeur du val », que Rimbaud avait croqué lors de la
guerre précédente.
«
Pour les jeunes gens, dit À l'Ouest, le M 16, le M 17 étaient trop
grands
Ils
glissaient sur leurs visages d'enfants
Et
au-dessus de leurs mentons tremblants
On
ne voyait plus que leurs bouches crispées d'effroi »
Dis-moi,
M 16, M 17... De quoi s'agit-il ?
Oh,
Lucien mon ami, tu sais combien les militaires ont le goût des
matricules. Ce sont des sigles qui désignent en fait le casque
d'acier M(odèle 19)16 et bien évidemment, M(odèle 19)17... Sans
doute, a-t-on amélioré la chose ultérieurement... Encore que je
n'en suis pas trop sûr, à voir la tronche des soldats du Reich lors
des confrontations suivantes. Cela dit, cette histoire de casques
d'acier, on va la retrouver dès après la guerre et avec une
résonance terrible, puisque ce sont des « casques d'acier » qui
seront à la base des milices hitlériennes... Comme quoi, il y a une
certaine cohérence dans le fil de l’histoire et des histoires
d'Allemagne.
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
La
deuxième rencontre se fit au bord du lac, à l'Odéon,
Un
endroit qui, si l'on en croit certaine tradition,
Vit
passer à ses tables des gens dont on parle encore ici et là
Joyce,
Lénine, Einstein, Brecht, Mann, Krauss, Kafka
Sur
la table, le champagne pétille entre les croissants et les fromages
À
l'Ouest fait un clin d’œil aux Orages
Et
dit : en 33, ils m'ont brûlé en place publique
Vous,
ils vous ont gardé; vous leur étiez sympathique.
Ces
messieurs revenus des tranchées
Des
coups de main, des offensives si souvent avortées
Sur
la Somme, sur la Marne, sur la Meuse
Et
des moissons de la grande faucheuse
Évoquent
le casque à pointe, de cuir ou de feutre pressé,
Décoratif,
certes, impressionnant, sans doute, mais meurtrier –
Un
coup de fusil, une balle, un éclat d'obus
Le
traversait et faisait un tué de plus.
Alors,
dit les Orages, on passa, le temps de l'inventer,
Au
casque d'acier, antirouille, lourd et blindé jusqu'au nez.
Le
casque suisse, insiste-t-il, aussi s'en inspire.
Par
bonheur suisse, dit la demoiselle, il n'a pas dû tester le pire.
Pour
les jeunes gens, dit À l'Ouest, le M 16, le M 17 étaient trop
grands
Ils
glissaient sur leurs visages d'enfants
Et
au-dessus de leurs mentons tremblants
On
ne voyait plus que leurs bouches crispées d'effroi.
De
toute façon, les éclats d'obus crevaient leurs parois
Et
même, croyez-moi, les balles de mitrailleuses.
La
mort, voyez-vous, est une personne sérieuse.
Pour
conclure, ces deux messieurs à la bonne fortune
Ces
deux messieurs reprirent encore une prune.
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