1923
- Les Beaux Billets
Canzone
française – Les Beaux
billets – 1923 – Marco Valdo M.I. – 2011
Histoires
d'Allemagne 24
An
de Grass : 23
Au
travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle »
(Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition
française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses
traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
100.000.000.000.000 de marks ou quelque chose comme ça... |
Que
peut donc bien raconter ton histoire d'Allemagne pour l'année 1923
et comment l'as-tu intitulée ?, demande Lucien l'âne un peu
impatient de connaître la suite de la grande aventure germanique,
distillée en petits épisodes didactiques par Marco Valdo M.I.
Commençons
par le titre, car il est tout simple et donne une idée de ce que
raconte la chanson du jour. Elle s'intitule : « Les Beaux Billets »
et elle commence par une partie de Monopoly, jouée par des enfants
de notre temps, je veux dire des années 2000 et au-delà. Je te
rappelle que ce jeu a été créé par un chômeur étazunien en 1934
et qu'il a connu de nombreuses versions. Par parenthèse, pour la
France, il aurait dû y avoir une version où l'endroit le plus
prisé, la case la plus recherchée devait être le joli village de
Montcuq, qui bien évidemment doit se prononcer à la manière de
Zazie : « Mon cul ! », ce qui explique son succès auprès d'un
public très étendu... Mais les éditeurs, des « proutmachères »
un peu coincés ont refusé cette version, réclamée au terme d'un
référendum par le public des passionnés.
Ils
devraient aussi prévoir une case à Poil, où devrait se trouver le
monument à l'inventeur de la démocratie, le très célèbrement
méconnu Hégésippe Simon et une autre à Condom, charmante commune
sur la Baise (Je te jure que je n'invente pas...). Cela dit, on n'est
pas là pour parler de Montcuq, dit Lucien l'âne, mais de la chanson
« Les Beaux Billets ».
Alors,
dit Marco Valdo M.I., pour en revenir à la chanson, dans cette
partie de monopoly, jouée par les enfants, des Allemands de
maintenant, on utilise des billets anciens, retrouvés dans les
greniers ou dans les affaires des grands-parents ou des parents. Il y
a des billets de diverses époques du siècle dernier et spécialement
ceux de 1923. 1923, vois-tu Lucien l'âne, en Allemagne, c'est
l'année de l'hyper-inflation. Une année terrible ! Elle va
provoquer des bouleversements formidables, permettre des fortunes
aussi soudaines qu'hasardeuses, des ruines et des misères
effroyables. Pour avoir une idée de cette inflation, regarde
l'évolution du prix du pain en marks : 1921 : 3,9; 1922 (fin) : 163;
1923 – en janvier : 250, en mars : 463; en juin : 1428; en
septembre : 1.512.000 et en décembre : 399.000.000.000. Trois cent
nonante-neuf milliards de marks pour un pain...
C'est
impressionnant, dit Lucien l'âne, mais comment cela se passe-t-il ?
Tout
simplement comme tu le vois, les prix montent à une vitesse
insensée, d'une semaine à l'autre, d'un jour à l'autre. C'est
évidemment une situation qui met à mal ceux qui ont des revenus
fixes ou à périodicité régulière – au mois par exemple... et
spécialement, ceux qui sont payés en argent, en monnaie... Le
salaire peut même augmenter chaque mois... Quel sens cela peut-il
encore avoir, si les prix augmentent tous les jours; les intérêts
sur les prêts également et qu'ils arrivent à des niveaux
astronomiques... On parle de 4 à 5000 % par an. On veut bien avoir
des dettes en marks, mais on s'empresse de garder les choses réelles
… Et pour les détails, je te renvoie à la chanson... En tous cas,
c'est une année qui a marqué les Allemands et qui pèse peut-être
encore sur leur façon de voir les choses. Les beaux billets...
Forcément : ils sont remplis de zéros et on a dû les faire de plus
en plus grands... Par la suite, il y aura d'autres billets et
notamment ceux de la République Démocratique Allemande – ce sont
ceux avec le compas et les épis et puis, les deutschemarks de la
République Fédérale, puis ceux de l'Allemagne réunie, puis enfin,
il y a eu l'euro... Ce sont chaque fois des billets différents, des
dessins différents, des couleurs différentes. Tout cela attise la
curiosité des enfants.
Évidemment,
dit Lucien l'âne. Cette profusion de billets si différents des uns
des autres... C'est une sorte de condensé de l’histoire...
C'est
bien cela qui se passe. Les enfants demandent le pourquoi du comment
de toutes ces sortes de billets. Ils veulent savoir et dès lors, il
faut bien leur répondre. Ce que je ne ferai pas ici. Mais une chose
cependant : les billets racontent plus que l'histoire des billets
eux-mêmes; ils racontent l'histoire de l'Histoire; ils racontent
l'histoire des Allemagnes. J'attire ton attention sur les derniers
vers; ils disent ceci : « À Chemnitz-Karl-Marx-Stadt, Oncle Eddy et
ma mère n'ont pas connu le deutsche mark ni l'euro... ni cette
misère qu'on subit maintenant... Ils sont partis à temps.... ». En
fait, ces vers parlent du destin des gens de l'Allemagne de l'Est
réannexée à celle de l'Ouest et de la misère que rencontrent de
ce fait aujourd’hui les habitants de cette partie, située de
l’autre côté du mur... Le Mur est tombé, en effet, mais que d'un
seul côté... En somme, on a fait tomber (et encore …) la
bureaucratie, mais on n'a pas fait tomber l'exploitation des
hommes... Bien au contraire, on a développé leur misère.
C'est
en effet, dit Lucien l'âne en opinant des oreilles, ce que tu
racontais dans ta chanson « L'Autre
Côté du Mur ». Il y a là un aspect de la guerre de Cent Mille
Ans que les riches font aux pauvres pour augmenter leurs richesses,
accroître leurs propriétés, multiplier leurs privilèges, étendre
leurs pouvoirs et renforcer leur domination. C'est pour faire tomber
ce côté-ci du mur – qui semble-t-il commence à vaciller sur ses
bases – que nous devons obstinément tisser le linceul de ce vieux
monde monétaire, financier, économique et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
Ces
billets-là, ah, ces anciens billets, aujourd'hui
Sont
la joie des petits quand ils jouent au monopoly
Il
y a les billets qui venaient d'ici et ceux qui venaient de là
Les
démocratiques qu'ornaient des épis et des compas,
Les
fédéraux d'après la guerre et ceux d'avant l'euro
Ceux
de la grande inflation tout emplis de zéros
Billets
trouvés entre les pages du cahier de ma mère
Où
figure le prix de mon tablier d'écolière.
De
beaux billets d'après le grand carnage
De
beaux billets d'avant les grands orages
Ah,
les beaux billets !
Tout
farcis de numéros
Ah,
les beaux billets !
Pour
payer les anciens héros !
Pour
un pain, il en fallait des marks et des marks
Et
les marks soudain ne valaient plus un mark.
Les
prix les plus bas atteignaient des hauteurs sidérales
On
comptait en milliards. La vie quotidienne devenait infernale
On
vivotait : un jour les haricots, un jour les lentilles.
Ma
mère disait : On ne sait jamais ce que réserve la vie
Oncle
Eddy revenu d'Amérique et ses dollars-or
Légumes
secs et corned beef, de vrais trésors !
Prenaient
de la valeur chaque matin grâce à l'inflation
Huile
de foie de morue, lait, chocolat valaient des millions
Ah,
les beaux billets !
Tout
farcis de numéros
Ah,
les beaux billets !
Pour
payer les haricots !
Les
gens de l'assistance, les ouvriers, les fonctionnaires, les employés
Survivaient
bien plus mal que nous dans ce merdier
Partout
des mendiants, partout des invalides de guerre
Heinz,
au rez de chaussée, qui avait hérité de terres
Comme
propriétaire, il s'en tirait plutôt bien, c'est sûr,
Il
vivait de fermages, il vivait de loyers en nature
À
Chemnitz-Karl-Marx-Stadt, Oncle Eddy et ma mère,
N'ont
pas connu le deutsche mark ni l'euro... ni cette misère
Qu'on
subit maintenant...
Ils
sont partis à temps.
Ah,
les beaux billets !
Tout
farcis de numéros
Ah,
les beaux billets !
Pour
nourrir les asticots !
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