1921
- Mademoiselle Ilse
Canzone
française – Mademoiselle
Ilse – 1921 – Marco Valdo M.I. – 2011
Histoires
d'Allemagne 22
An
de Grass : 21
Au
travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle »
(Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition
française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses
traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
http://www.antiwarsongs.org/canzone.php?lang=it&id=37875
Vous
savez, mon cher Tiger
J'aime
vous appeler Panter ou Tiger
Ça
me trouble beaucoup
|
Tiens,
Lucien l'âne mon ami, tu te rappelles certainement ces chansons de
Kurt Tucholsky que j'avais traduites récemment... Il y en a
plusieurs...
Oui,
de fait, je me souviens fort bien de Guerre à la Guerre, Roses
éparses sur le chemin, Bienfaisance sociale, Parc Monceau...
Peut-être
même as-tu remarqué que je n'avais pas fait de commentaires
spécifiques et que je n'avais pas parlé de Tucholsky lui-même...
J'avais
remarqué cela et, dit Lucien l'âne avec ses oreilles dressées en
points d'interrogation car Lucien l'âne est très expressif du
corps, je me demandais pourquoi tu ne disais rien d'un tel artiste,
d'un tel intellectuel, d'un tel militant de l'humaine nation...
Eh
bien, la raison de mon silence est tout simplement que je préparais
cette chanson qui elle va donner un éclairage sur sa personnalité
et rendre hommage à Kurt Tucholsky. Et comme tu as l'air de savoir
quel grand écrivain c'était, quel poète il fut, tu as pu subodorer
l'immense influence qu'il a eue sur la poésie et la littérature
allemandes. Je pense notamment à Bert Brecht, Günter Grass et à
Hans-Magnus Enzensberger. Tu as pu voir aussi sa clairvoyance à
l'égard du Blechtrommel, de ce Tambour de fer blanc qui rêva d'un
Reich de mille ans, tu as pu connaître sa dénonciation du régime
de ce trublion et de ses prémices implacables. Une vraie plume
d'acier que cet homme-là... Je pense à l'influence de la Weltbühne
qu'il anima si bien sous toutes sortes de pseudonymes. Et des
pseudonymes, il en eut... Par exemple : Kaspar Hauser, Peter Panter,
Theobald Tiger et Ignaz Wrobel.
Oui,
Marco Valdo M.I. mon ami, je savais une partie de tout cela et je
découvre avec ravissement le reste. Mais qu'en est-il de la chanson
du jour ?
D'abord,
je suppose que tu sais qui était Peter Pan(ter), ce gentil héros
qui combat les effrayants (et ridicules) pirates du capitaine
Ehrhardt...
Excuse-moi,
n'était-ce pas plutôt du capitaine Crochet ?, dit Lucien l'âne un
peu éberlué...
Mais
si, mais si, c'est du capitaine Crochet quand il s'agit de Peter Pan,
mais s'agissant de Peter Panter, il s'agit principalement du
capitaine Ehrhardt et de ses pirates aux Casques d'Acier, ces
ressusciteurs des lansquenets, tant vantés par Ernst Jünger et qui
seront plus tard ceux du caporal Tambour... connu aussi sous le nom
d'Adolf Hitler. Au fait, je te signale en passant qu'il s'agit du
même Ernst Jünger, Orages d'acier... dont on a relaté ici même
dans les Histoires d'Allemagne la conversation avec À l'Ouest... en
terrain neutre, à Zurich, cinquante ans après la guerre. Mais
revenons à la chanson... Cette année-là, deux ans après la
guerre, Ernst Jünger s'était lancé dans la Révolution
conservatrice, celle qui mènera tout droit au nazisme.
Alors
ce que raconte la chanson du jour, notre histoire d'Allemagne du
jour... ?, dit Lucien l'âne en riant.
En
somme, dit Marco Valdo M.I., c'est un projet de brève rencontre,
initié par une jeune femme. Elle met en scène, notre chanson, deux
personnages: Peter Panter qui n'est autre, comme je te l'ai dit, que
Kurt Tucholsky lui-même et Mademoiselle Ilse Lipinski et tout au
long de la chanson ces deux-là s'envoient des petits mots...
Waouww
!, dit Lucien l'âne un peu émoustillé.
Exactement,
tout commence par un mot de Mademoiselle Ilse où elle fait savoir à
Tucholsky, alias Panter, qu'elle tient assez à passer une soirée
avec lui et le Don Juan putatif finit par accepter le rendez-vous. Un
roman express, en quelque sorte. Un jeu croisé de séduction que
l'on trouve chez Mozart, chez Marivaux et chez tellement d'auteurs...
L'objet d'une infinité de romans, de nouvelles, de films, de
feuilletons télévisés... et bien sûr, d'opéras, d'opérettes, de
comédies musicales, de chansons... Mais c'est bien plus que ça...
Ce marivaudage sert en fait un autre but qui est bien plus
important... C'est l'écrin d'une défense et illustration de
Tucholsky par lui-même et d'autres considérations politiques et
philosophiques.
Houlala,
dit Lucien l'âne. Voilà qui soudain est bien sérieux. Je croyais
que Mademoiselle Lipinski, sans vouloir l'offenser, était une jeune
personne douée d'une certaine vitalité et d'un goût prononcé pour
la danse.
Mais
tu n'as pas tort, c'est bien cela. Ilse est une jeune femme du peuple
(elle est vendeuse dans un magasin de chaussures) qui songe aussi à
prendre la vie du bon côté et à ne pas trop s'en faire. Mais elle
est rattrapée par l'horrible réalité que lui fait découvrir Peter
Panter.
C'est
donc bien une chanson et pas un traité de science politique. Ah là,
tu me rassures, dit Lucien l'âne en souriant, je vois Mademoiselle
Ilse danser le charleston en robe courte... Elle est vraiment
coquine...
Oui,
c'est décidément bien une chanson... Rappelle-toi, Lucien l'âne
mon ami, que notre instrument de compréhension et d'élucidation du
monde, c'est précisément la chanson, la poésie et comme il est dit
en préambule à toutes ces histoires d'Allemagne... « Au travers du
kaléidoscope de Günter Grass. ». Et puis encore, ne penses-tu pas
comme moi que Berta et Ilse sont des incarnations de l'Allemagne, de
la population allemande ? En fait, dans cette chanson Kurt Tucholsky
s'explique de son action d'écrivain, de poète, de journaliste, de
polémiste, de militant... Bref, d'homme avec des sentiments, avec
des goûts, avec une vie sociale et des moments de détente, de fête.
Par ailleurs, il ne faut surtout pas oublier que c'est Günter Grass
qui raconte cette histoire et qu'il le fait tout à la fin du siècle
et qu'il serait très surprenant qu'il n'ait pas lui aussi conscience
du rôle de Tucholsky. Bon, j'arrête là, car il y a mille choses
encore à dire à propos de cette chanson.
Oui,
mais, dit Lucien l'âne, j'aimerais quand même ajouter que tu y as
toi aussi apporté ton grain à cette image mouvante et qu'il me
paraît – tu ne me l'enlèveras pas de l'esprit – que parlant du
passé, tu parles du présent... Et que, quand tu parles du futur du
passé, de l'avenir vu de 1921, tu parles de l'avenir de nonante ans
plus tard, de l'avenir de 2011. Tout comme, je crois comprendre que
tes Histoires d’Allemagne parlent de l'Allemagne, certes, mais
aussi de l'Europe en train de s'unifier... sous une influence
grandissante et pesante de la Chancellerie berlinoise, avec tous les
risques que cela représente.
En
effet, en effet, on pourrait très bien imaginer cela... Et qu'il y a
dans la chanson du jour une certaine mise en garde... Mais restons-en
là...
Oui,
dit Lucien l'âne, restons en là provisoirement et tissons le
linceul de ce vieux monde au destin sans cesse recommencé, de ce
vieux monde pesant et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Cher
Peter Panter, écrit Ilse
Je
suis votre « Mam 'selle Piesenwang »
En
vérité, je m'appelle Ilse
Et
pas du tout Piesenwang
Ilse,
Ilse Lepinski
Et
n'allez pas croire... j'ai un ami
Mais
il est assez tolérant.
Il
m'a fait lire vos trucs marrants
Et
c'est vrai, on a bien ri
Malheureusement,
je n'ai pas tout compris,
Sauf
que parfois, vous êtes méchant.
Mais
on m'a dit que vous êtes très séduisant.
Mademoiselle
Ilse
Je
vous jure que je ne suis pas si méchant
Croyez-moi,
Mademoiselle Ilse
J'ai
essayé pendant trois ans
D'échapper
à la guerre par tous les moyens
Pour
ne pas tuer d'autres humains
Pour
ne pas être fusillé
Ou
crever bêtement à l'étranger
Beaucoup
en firent autant.
C'étaient
pourtant de bons Allemands
Un
jour, on m'a donné un fusil
Je
l'ai posé là et je suis parti.
Vous
savez, mon cher Tiger
J'aime
vous appeler Panter ou Tiger
Ça
me trouble beaucoup
Mais
pour la danse, vous n'y êtes pas du tout
Avec
une robe jaune au dessus du genou.
Je
danse un truc terrible, un charleston,
Des
ondes, on tremble, quelle sensation !
Ça
monte du bas et ça vous envahit tout
Si
vous venez, je vous montrerai.
Et
j'ai dans ma petite boîte, quelque chose
Un
de ces bonbons, qui rend tout chose
Si
vous voulez, je vous en ferai goûter.
Chère
Mademoiselle Ilse, j'aimerais bien
Mais
avant tout, il nous faut sortir du pétrin
Dans
lequel les militaires nous ont fourrés.
Quatre
années de massacres, c'est assez
Ils
peignent des croix gammées sur nos maisons
Ils
font ces saletés-là pour que nous partions
Le
meurtre politique est organisé
Le
dol, le vol, l'assassinat sont exemptés
Les
tribunaux ont peur et la justice suit.
Condamnations
légères, non-lieux et sursis,
Ni
les Balkans, ni l'Argentine, ni le Pérou
Ne
supporteraient d'être comparés à nous.
Cher
Monsieur Kaspar Hauser,
Je
sais bien que vous êtes Tucholsky
Que
vous êtes juif et plutôt fier
Moi
aussi, mon nom finit par ski.
Je
suis une personne bien ordinaire
Je
vends des chaussures chez Leiser,
Au
rayon messieurs, je m'y plais bien
Et
puis, j'aime les gros, ils dansent bien
C'est
tout au fond du magasin. Venez samedi
Je
vous ennuierai pas, c'est promis
Je
vous attendrai, on ira danser.
Mon
ami est parti, j'ai toute la soirée.
Chère
Mademoiselle Lepinski,
Oui,
j'ai dit que « Les soldats sont des assassins »
C'est
normal, sur ordre, ils tuent des humains
Et
nous ne pouvons quand même pas dire oui
À
un peuple qui pourrait commettre à nouveau le pire
Refaire
un Reich, revouloir un Empire
À
un pays où le groupe écrase l'individu
Où
les tueurs se promènent tout nus
Portent
des casques d'acier et font de la gymnastique.
Rassurez-vous,
je ne parlerai pas de politique
Je
viendrai samedi au rayon hommes chez Leiser
Nous
irons boire, manger et danser chez Walter.
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