1928
- Les Trois Frères de Barmbek
Complainte
pour les enfants frivoles
Canzone
française – Les Trois Frères de Barmbek : Complainte pour
les enfants frivoles – 1928 – Marco Valdo M.I. – 2011
Histoires
d'Allemagne 29
An
de Grass : 28
Au
travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle »
(Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition
française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses
traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Cette
fois, c'est une complainte... La complainte, comme tu le sais, Lucien
l'âne mon ami, est une forme de lamentation et dans ce cas, c'en est
bien une... C'est la plainte triste d'une mère qui raconte à ses
petits-enfants, l'histoire de sa jeunesse au temps où ses propres
fils étaient encore en vie jusqu'au temps de leurs morts. Elle
commence, cette histoire tragique, par la mort de leur père... Un
accident de travail... une palette d'oranges qui tombe sur le dos de
ce que chez nous on appelle un docker, un travailleur des docks, d'un
fort du port comme il a des forts des Halles, un débardeur, un
chargeur, un portefaix, disait-on au temps où on parlait encore
français. Donc, le mari, le père de ces trois garçons était mort
au travail, la grue a lâché, le câble s'est brisé... défaut de
prévoyance, défaut d'entretien, manque de précaution, sécurité
défaillante... mais comme bien souvent, le patron rejeta la faute
sur le mort afin de refuser toute indemnisation. Et la mère, restée
veuve, a bien dû se débrouiller pour nourrir et élever ses trois
garçons. Cette petite famille vit à Barmbek, dans la banlieue de
Hambourg, grand port de commerce.
Je
comprends mieux le titre de ta canzone du jour, mon ami Marco Valdo
M.I. . Par parenthèse, il m'en rappelle étrangement d'autres, par
exemple : Les trois frères de Venosa
[[http://www.antiwarsongs.org/canzone.php?id=953&lang=it]]... Et
ce sous-titre, il me semble l'avoir déjà vu quelque part aussi...
En
effet, ce sous-titre « Complainte pour les enfants frivoles », qui
aurait pu être le titre, renvoie directement au titre d'un roman
d'Alexandre Vialatte, « La complainte des enfants
frivoles »[[http://calounet.pagesperso-orange.fr/resumes_livres/vialatte_resume/vialatte_complainte.htm]]
écrit entre 1920 et 1928 – précisément. Alexandre Vialatte dont
j'avais tiré les deux premières qui servent de préambule à ces
Histoires d'Allemagne et de fait, si l'on y réfléchit bien, ces
trois frères, comme des millions d'autres, ont été bien frivoles
de ne pas refuser toute collaboration avec le nazisme. Quant au titre
lui-même, si l'on y trouve les trois frères, s'il est semblable,
l'histoire n'est pas du tout la même et les trois frères de Barmbek
ont un comportement très différent de celui de ceux de Venosa.
Souviens-toi, les trois frères de Venosa étaient des paysans en
lutte contre le pouvoir; ici, ils s'y rallieront tous les trois et à
quel pouvoir : au IIIièmeReich,
au régime nazi. La seule chose similaire, c'est qu'ils en mourront
tous les trois des suites de leurs activités guerrières – les uns
– de Venosa – par traîtrise; les autres – de Barmbek – par
bêtise. Mais ici, la canzone commence en 1928... Cette année-là,
en Allemagne, il y a des élections et les affrontements sont très
violents... À ce stade, le SPD (le parti social-démocrate allemand)
emportera la mise... La droite recule, le parti nazi n'est encore
qu'à 2,6 %; on le croit vaincu, on le croit sans danger. La canzone
permet de voir – comme cela se passe actuellement dans divers pays
d'Europe – comment des ouvriers, descendants et enfants de
militants, finissent par rejoindre les pires rangs : fascistes,
nationalistes et par soutenir les pires dérives... Pourquoi ?
Comment ? Car tout ça a quand même fini par plusieurs dizaines de
millions de morts...
Comment
? Pourquoi ? Vois-tu, Marco Valdo M.I. mon ami, c'est une question
lancinante... Mais je crois que la réponse, on peut la trouver si on
resitue ces comportements dans le cadre de la Guerre de Cent Mille
Ans que les riches font aux pauvres pour les soumettre à leurs
diktats, les exploiter, pour accroître leurs propres pouvoirs, pour
étendre leurs privilèges, pour développer leurs richesses. Les uns
se rallient par peur, les autres pour un emploi ou un bénéfice, les
autres pour un poste, pour une place, pour la gloriole... D'autres
enfin, comme Herbert finissent par s'y rallier en prenant prétexte
de l'obéissance, du respect des institutions, du devoir d'État,
d'amour de la Patrie et autres bonnes mauvaises raisons.
Je
vois, je vois, dit Marco Valdo M.I., mais je n'ignore pas non plus
combien la lâcheté peut occulter les regards les plus perçants. Ce
n'est peut-être ni facile ni confortable de résister à la
corruption, de rester toujours sur ses gardes (Ora e sempre :
Resistenza !) par rapport aux sollicitations de la bête immonde,
surtout quand elle se présente sous les apparences de la légalité,
quand elle pénètre dans votre vie en se voilant des fêtes, en
présentant une sorte de pays du sourire... Mais il faut, il faut se
tenir à l'égard de l'appel des sirènes ; au besoin, se lier
au ma comme le fit Ulysse le sage. C'est une question de santé
morale, c'est de l'ordre du devoir moral, de cette stature éthique
intérieure qui vous tient droit, qui vous permet de traverser la vie
sans honte.
Tu
dis juste, Marco Valdo M.I. mon ami, cette résistance quotidienne et
obstinée, nous nous devons de la maintenir et de l'accomplir en
tissant heure après heure, patiemment, le linceul de ce vieux monde
pervers, souriant et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
Écoutez,
ô enfants, la complainte de mes plus beaux jours
Écoutez,
enfants frivoles, ce qui se passait dans ce faubourg
Aux
temps anciens de mes belles amours
Un
vrai roman à Barmbek, banlieue de Hambourg.
Uniformes
et sang noirs, un roman dur et ambigu
Une
histoire comme j'espère, vous n'en verrez plus.
Descendants
de socialistes et socialistes de conviction
On
n'était plus que quatre à survivre avec la pension
Un
reste de famille, moi et mes trois garçons
Après
l'accident qui tua net leur père au boulot
La
palette d'oranges lui était tombée sur le dos
Et
puis, l'indemnité refusée par le patron.
Quand
le tintouin a commencé, jeunes sans malice
Ils
étaient encore tous les quatre à la maison.
Service
et uniforme, Herbert, l'aîné, était dans la police
Rêveur
tranquille d'insectes et de papillons
Jochen
conduisait les barges aux docks du port
Heinz
manœuvrait le café pour l'import-export
Autour
de la table, ça riait, disputait pendant que je servais
Jochen
ardemment communiste hurlait
Heinz,
le SA, le nazi, le fasciste répliquait
Herbert,
l'aîné, les calmait.
Quand
les travailleurs se battent entre eux, qu'il disait
C'est
tout bénéfice pour les riches et les patrons, qu'il disait.
Mais
après... Arrivent mai et les élections
Deux
morts, deux camarades socialistes assassinés
À
Barmbek, les communistes qui tiraient de leur camion
Ont
éclaté la tête de Tiedeman le menuisier
À
Einsbüttel, les SA, ces nazis, ces assassins
Pour
une affiche, ont liquidé Heidorn au petit matin.
Jochen,
devenu chômeur a rallié Hitler
À
la maison, la paix est revenue le temps de commencer la guerre
Jochen
s'est engagé : sous-marinier, il n'en est pas revenu
Heinz
est allé se perdre en Afrique, on ne l'a pas revu
Herbert
est allé en Ukraine faire de sales boulots
Lui,
il est revenu ; il s'est tu ; le cancer a eu sa peau.
Herbert
m'a laissé Monika et trois filles
Sa
façon à lui de prolonger sa vie
C'est
pour elles que je chante
Ce
qui, toutes les nuits, me hante
Écoutez,
ô enfants, la complainte de mes plus beaux jours
Écoutez,
enfants frivoles, ce qui se passait dans ce faubourg.
À
Barmbek, près de Hambourg...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire