1948
– La Soupe froide
Canzone française – La Soupe froide – Marco Valdo M.I. – 2011
Histoires d'Allemagne 49
An de Grass : 48Au
travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein
Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 –
l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Mil
neuf cent quarante-huit est une année-charnière dans l'histoire de
l'Allemagne, dit Marco Valdo M.I., tout songeur. Mil neuf cent
quarante-huit...
Ah,
oui !, dit Lucien l'âne en se contorsionnant d'un air entendu.
Tiens, voilà encore une année-charnière ; ma parole, toutes les
années sont charnières dans cette histoire.
Certes,
Lucien l'âne mon ami. Et tu le sais bien que dans ta vie aussi,
toutes les années sont charnières. C'est d'ailleurs dans la
nature-même des années et aussi, de tous les instants.
En
effet, dit Lucien l'âne. Cela me rappelle je ne sais plus quel
philosophe ; car, comme tu le sais, je les ai presque tous
rencontrés, et j'appréciais surtout ceux qui ne me prenaient pas
pour un imbécile en raison de mon bonnet ou de mes deux grandes
oreilles. Donc, un philosophe ou un autre disait : le présent a une
durée de vie nulle, coincé qu'il est entre le passé, c'est-à-dire
l'ex-présent qui le précède et le futur, lui-même futur présent
qui le suit. Ce qui fait que dans cette succession de présents, tous
sont nuls et comme il est dit : le présent se trouve entre et fait
passer de l'un à l'autre et même au troisième. Le présent est
précisément le seul qui soit un moment-charnière. On passe du
néant du passé vers le néant du futur par la charnière du
présent. Ce qui explique que tout moment est en soi à la fois,
néant et charnière. Donc, pour en revenir à ton propos et à ta
chanson, à ton histoire d'Allemagne, mil neuf cent quarante-huit,
disais-tu, est une année-charnière. Et pourquoi donc ?
Vois-tu,
Lucien l'âne mon ami, la question que pose la chanson, c'est celle
de savoir ce qui peut bien relier un peuple, faire qu'un peuple se
ressente comme tel... et spécialement, le peuple allemand. Oui, oui,
je vois ton regard... Je vois bien que tu jettes tes yeux au ciel...
Peuple,
peuple... Pourquoi pas race, tant que tu y es... Comme dirait
Zazie... « Peuple, mon cul ! ». Sont-ils, est-on un peuple car on
parle la même langue ? Ou car on est sans prépuce ou car on
infibule ses filles ? Ou car on porte la barbe, qu'on laisse pousser
ses cheveux ? Qu'on pose un chapeau sur la tête ou un foulard ? Ou
car on mange des patates et de la saucisse ? Car on boit de la bière
ou du vin ? Car on porte le même uniforme ? Car on est exploités
par un même patron ? Car on partage la même misère ? Car on est
soumis à un même pouvoir ? Car on est pétris de vénération pour
une entité quelconque ou que l'on est lecteurs d'un même livre ?
Toutes
questions pertinentes... Et je ne suis pas plus sûr que toi de la
réponse et même, pire encore aux yeux de certains, je doute fort de
l'existence réelle de peuples... et moins encore, si on y met une
dimension génétique. Mais admettons quand même qu'il puisse
exister un peuple... vivant parmi plusieurs peuples ; au moins, deux
peuples, car s'il n'en existait qu'un et un seul, la question se
poserait tout de même de manière différente : ce serait le peuple
humain, ce qui est une idée revigorante. Ce pourrait être une façon
de nommer l'humaine nation. Donc, un peuple, etc.... spécifique. Je
dis ça, car c'est ce qui me vient à l'esprit pour poursuivre mon
raisonnement. C'est une pétition de principe, une affirmation sans
fondement... Mais admettons... Un peuple parmi d'autres peuples. Et
qui plus est : le peuple allemand... Oui, je sais, il a déjà fait
tant de dégâts ce peuple, dont je reste à penser qu'il est un
mauvais rêve, une construction imaginaire et pernicieuse.
Évidemment,
si on parle de peuple allemand, ce n'est pas bon pour les gens, car
les premières victimes de cet ectoplasme, ce furent les gens
d'Allemagne eux-mêmes. Prenons les Juifs, par exemple, enfin ceux
qu'au nom du peuple allemand, on a déclarés Juifs... Et bien,
eux-mêmes se déclaraient Allemands et leur souhait était –
depuis fort longtemps – d'être Allemands. Ce fut pareil avec les
Juifs italiens... qui eux entendaient être Italiens... Cette idée
de peuple a déjà fait trop de massacres... Et en 1948, on sort à
peine d'en prendre...
Voilà
le fait, 1948 est l'année où l'on sort du monde du Reich de mille
ans. En deux temps : d'abord, l'abolition du Reichsmark – tout un
symbole et la naissance, mitonnée en secret par les Alliés et
l'impression par les Étazuniens – du Deutsche Mark, qui restera
dans la « trizone » (réunion des zones d'occupation étazunienne,
britannique et française), coupant ainsi de facto l'ex-Reich en deux
; ce qui constitue le deuxième temps. C'est cela... En 1948, naît
la double Allemagne. Pour le troisième temps de cette valse, il
faudra encore attendre... Une démarche à la Hegel : thèse,
antithèse, synthèse. C'est ainsi que démarre en Allemagne cet
épisode de la Guerre de Cent Mille Ans, dénommé « guerre froide
». Dans la foulée, on crée une Allemagne en « trizone », peuplée
cela va de soi de Trizonésiens, ce sera l'Allemagne fédérale. La
réplique monétaire et institutionnelle des « exclus » ne se fera
pas attendre... Et voilà, l'Allemagne coupée en deux...
Tu
parles d'un peuple..., dit Lucien l'âne. Cela dit, la triade, le
tempo à trois temps de la pensée, Héraclite m'en avait déjà
touché un mot lorsque nous parcourions moi de mes quatre pieds, lui
sur mon dos, les pentes de montagnes d'Ionie. C'est lui qui disait :
« La guerre est la mère de toute chose », manière de dire qu'on
est plongé dedans depuis des temps et des temps... Moi, je lui avais
soufflé dans l'oreille que l'âne préfère le foin à l'or.
Pour
en revenir à la chanson, quant à elle, elle raconte ce passage du
Reichsmark au Deutsche Mark, c'est-à-dire la liquidation financière
du Reich..., vue par un retraité de Cologne, en vacances dans
l'Allgäu. Et cette pluie incessante qui arrose les protagonistes...
Que peut-elle bien signifier si ce n'est la liquidation précisément
des restes de l'ancien Reich ? Une sorte de purification ? Le baptême
de ce qui va advenir ? Elle en montre aussi le sens... L'instauration
du Deutsche Mark, alias D.M., une valeur sûre sur laquelle on peut
compter, avec laquelle on peut (re)créer la richesse, le profit...
Voilà à qui profite cette belle opération...
C'est
donc bien un épisode de cette Guerre de Cent Mille Ans que les
riches font aux pauvres pour construire leur fortune, accroître
leurs richesses, installer et développer leur pouvoir, renforcer
leurs privilèges... C'est exactement la raison pour laquelle il nous
revient de tisser le linceul de ce vieux monde amoral, avide,
arrogant et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
UN DEMI-DEUTSCHE MARK
Sournois, le nouveau Deutsche Mark est arrivé
En quarante-huit heures, il nous a ruinés
|
Anneliese,
ma femme et moi, on était de jeunes retraités
Déjà
qu'après tout ça, le Reichsmark ne valait plus bezef
On
n'avait pas les moyens de partir comme Joseph
Là-bas
au Paraguay avec nos revenus limités.
Ni
même en Italie, en Italie, en Italie
La
guerre était finie.
Anneliese,
ma femme et moi, on ne fumait pas.
On
vendait – au noir – nos cartes de tabac
On
a eu nos vacances comme ça
En
pension dans les montagnes, tout là-bas.
Sous
la pluie, sous la pluie, sous la pluie
La
guerre était finie.
Anneliese,
ma femme et moi, en Allgäu qu'on est parti
Entre
les vaches et les fromages et sous la pluie
«
Trois jours et trois nuits, il a plu sans arrêt,
Ciel,
étoiles et monts ? Rien, rien : quel intérêt ? »
Sous
la pluie, sous la pluie, sous la pluie
La
guerre était finie.
Anneliese,
ma femme et moi, en quarante-huit
Le
Blitzreich se décomposait, la grande Allemagne était cuite
Sournois,
le nouveau Deutsche Mark est arrivé
En
quarante-huit heures, il nous a ruinés
Sous
la pluie, sous la pluie, sous la pluie
La
guerre était finie.
Anneliese,
ma femme et moi, on est allé chez le coiffeur
Teinture
et permanente pour elle, coupe rasibus pour moi,
Demain,
on prend le train de bonne heure
Direction
Cologne. On est mieux chez soi.
On
est rentré sous la pluie, sous la pluie, sous la pluie
Les
vacances étaient finies.
Anneliese,
ma femme et moi, on a vu la nouvelle économie
Chaussures,
jambons, costumes, les vitrines étaient remplies
Anneliese,
ma femme et moi, comme tous les petits retraités
On
pouvait regarder les vitrines, mais pas acheter, pas acheter.
L'été
était pourri...
La
guerre était froide et notre soupe aussi
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