1930
– Chez Diener
Canzone
française – Chez Diener – 1930 – Marco Valdo M.I. – 2011
Histoires
d'Allemagne 31
An
de Grass : 30
Au
travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle »
(Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition
française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses
traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Franz Diener - Max Schmeling Berlin 1927
Franz dit : Je suis très fier
D'avoir perdu mon match contre Max le meilleur
|
Nous
voici à nouveau dans ces Histoires d'Allemagne, qui, tu t'en doutes
bien, Lucien l'âne mon ami, vont nous occuper un certain temps
encore.
Hou
là là, oui, je le pense bien, Marco Valdo M.I. mon ami. À mon
sens, sans doute encore une bonne année. Et qui sait ce que tu vas
encore me raconter. Dans l'ensemble, on l'imagine assez clairement :
le Reich, la guerre, la division, la réunification, le mur tombé
d'un seul côté... La marche vers la Grande Allemagne, la marche
vers la Grande Europe... C'est carrément téléologique.
En
effet, Lucien l'âne mon ami. C'est bien à une téléologie qu'on a
à faire ici. D'ailleurs, chacune des canzones qui ont été
présentées jusqu'à présent, tu le remarqueras, chacune tend à
décrire un mouvement dans le temps. En somme, elle ne raconte pas un
instant, mais bien un instant comme point dans un tracé d'histoire.
Les histoires sont des histoires dans l'Histoire. Je vois bien que
mon propos est bizarre, mais je vois mal comment le formuler
différemment. Ici, l'anecdote – c'est-à-dire la petite histoire
particulière qui sert de clé pour entrer dans le processus
historique est celle d'un boxeur. C'est une anecdote et comme toutes
celles que nous avons vues jusqu'ici, elle prend la forme d'une
parabole. Elle eût pu s'en tenir à cette histoire de boxeur, à
l'histoire de la boxe, à parler aussi de Max Schmeling, de ses
combats... Elle aurait pu déborder sur d'autres boxeurs : Primo
Carnera, Joe Louis...
Mais
tel n'est pas le cas dans la canzone. Elle n'accorde pas trop
d'importance à ces événements pugilistiques et regarde la vie dans
un terme plus long pour se rendre compte de la brièveté des
choses... On est boxeur un temps assez court et il vaut mieux qu'il
soit le plus court possible, sinon les dégâts causés par le noble
art sont irréversibles et catastrophiques. De cette gloire, sur
cette gloire, on ne peut fonder une vie... Comme sur toute gloire,
d'ailleurs. Et il faut bien se reconvertir et Franz Diener a une
reconversion plutôt heureuse... Il s'installe au cœur de la vie
nocturne de Berlin et de son comptoir-observatoire, il va connaître
la vie culturelle de son temps... Au départ, on y trouve un chanteur
que nous connaissons bien toi et moi, car nous avons déjà traduit
deux de ses chansons, dont Bürgerliche Wohltätigkeit
[[http://www.antiwarsongs.org/canzone.php?id=37187&lang=it]]
écrites par Tucholsky, mais Ernst Busch en écrira lui-même au
moins deux cents... et à la fin de l'épisode, on trouve l'écrivain
suisse Friedrich Dürrenmatt qui commande une tournée.
Je
vois, dit Lucien l'âne. Mais comment peut-il ce boxeur – fût-il
champion d'Allemagne des poids lourds vers 1930 avoir une vision
aussi panoramique...
Tout
simplement parce que son établissement, un simple bistrot au départ,
mais un bistrot de nuit attire d'autres boxeurs, des gens qui
gravitent autour de la boxe et des admirateurs des boxeurs. Bertolt
Brecht, par exemple, était assez amateur de la boxe. Je te rassure :
ce n'est pas mon cas. Puis, comme c'est devenu en ces temps-là un
lieu du Berlin nocturne, il va attirer les gens qui sortent la nuit.
Et il va garder cette caractéristique. Un lieu ouvert la nuit, pas
cher, où l'on peut rencontrer des artistes, le Groupe 47, par
exemple, qui va porter au monde la littérature allemande... Et un
bistrot pas cher... Il existe d'ailleurs toujours, il porte toujours
(aux dernières nouvelles) le nom de Diener et il est toujours au
même endroit. Sic transit... Il témoigne aussi comme notre chanson
que
«
Souvenirs, souvenirs désuets
La
gloire, le Reich, comme tout cela est éphémère. ».
Certes,
dit Lucien l'âne en s'étirant comme un chat qui s'éveille, les
gens et les choses sont éphémères, mais il en est de moins
éphémères que d'autres et qu'il faudrait hâter... Comme par
exemple la Guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres
afin de magnifier leurs profits, d'accentuer leur domination,
d'étendre leurs privilèges. Alors, pour notre part, reprenons notre
tâche et tissons, Marco Valdo M.I. mon ami, le linceul de ce monde
brutal, sournois, exploiteur et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
Mais
rien que pour dire, mes amis
Quand
Franz a ouvert son boui-boui
Bien
avant la guerre, avant même la montée du branleur
Y
avait des artistes, y avait des sportifs, y avait les boxeurs
Tout
ce monde se mélangeait
Pour
dire, y avait Ernst Busch, qui chantait
Acteur,
metteur en scène, contemporain de Diener
Ernst
Busch chantait la Totenmelodie de Tucholsky
Quand
les SA sont venus l'arrêter chez lui
Il
avait passé la nuit chez Diener
Il
dormait encore, il n'a pas ouvert à ces gens-là
Le
jour-même, il filait en Hollande avec Éva
Puis,
Belgique, Russie, Brigades Internationales
Et
chanteur à Radio Madrid contre les fascistes
Dans
les années cinquante, soixante
On
sort progressivement de la tourmente
Un
coin sympa pour les habitués du soir
Franz
sert derrière le comptoir
À
Berlin, Grolmanstrasse, métro Savigny
Nous
autres du groupe 47, souvent, on y passe la nuit
Chez
Franz Diener, on boit le schnaps et la bière
Œufs
durs, moutarde, boulettes et desserts
Après
les camps et les prisons et la guerre,
Ernst
Busch joue et chante au Berliner.
Ne
restent là à causer jusqu'au petit matin
Que
des artistes, des gens du spectacles, des écrivains
Dürrenmatt,
venu de Berne, y conte la galaxie.
Et
commande une tournée pendant que l'Allemagne cajole son amnésie.
Diener
poings en haut, Diener poings en bas,
Un
gars avec qui on ne se dispute pas
Champion
d'Allemagne mil-neuf-cent-vingt-trois
Un
mètre quatre-vingt-trois
Quatre-vingt-un
kilos, à ce moment
Donc,
sur les photos de l'ancien temps
Torse
nu, poings en l'air
Dans
ses poses de boxeur
Franz
dit : Je suis très fier
D'avoir
perdu mon match contre Max le meilleur
Champion
du monde et futur centenaire
Même
si aujourd'hui, il élève des visons et des poulets.
Souvenirs,
souvenirs désuets
La
gloire, le Reich, comme tout cela est éphémère.
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