1942
– Pour un œil les deux yeux
Canzone
française – Pour un œil les deux yeux – Marco Valdo M.I. –
2011
Histoires
d'Allemagne 41
Au
travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein
Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 –
l'édition
française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses
traducteurs français : Claude Porcell et Bernard
Lortholary.
Lübeck, Darmstadt, Wurtzbourg, Nuremberg, Hambourg, Berlin
Le ciel tombait sur les têtes du soir au matin
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Quel
titre, Marco Valdo M.I. mon ami, quel titre encore une fois. Que me
racontes-tu à nouveau là ? Te voilà d'humeur bien
belliqueuse, me semble-t-il. C'est carrément une vendetta que tu
fais fleurir ainsi subitement.
En
effet, Lucien l'âne mon ami, c'est une fleur de vendetta, une fleur
pernicieuse et comme tu le sais mieux que moi encore, c'est une fleur
sauvage qui pousse depuis la nuit des temps. C'est une fleur qui se
veut de justice et parfois, on peut considérer qu'elle l'est. Et
parfois, il n'y a pas vraiment d'autre façon de répliquer à
certaines effervescences assassines. Ou alors, elle naît d'une
colère rentrée, d'une colère un instant impuissante, d'une colère
qui a mûri sous la cendre. On pourrait penser à la Loi du talion,
dont on dit qu'elle était déjà présente dans les jurisprudences
les plus anciennes, mais remarque, Lucien l'âne mon ami, qu'il n'en
est rien. Cette « Loi du Talion » se veut un échange
équitable : vie contre vie, dent contre dent. Ici, on double la
dose et même, bien au-delà si l'on veut bien entendre qu'il y a
trente-deux dents dans une bouche complète, dans une gueule humaine,
la dose est bien plus considérable... lorsqu'il est dit « pour
une dent, toute la gueule ».
Par
parenthèse, toute la gueule implique bien plus que trente-deux
dents, un vrai massacre, car il faut imaginer que tout le visage y
passe et plus encore. Et chez nous les ânes, il y faudrait
pulvériser quarante-deux dents. Dès lors, en effet, Lady Godiva a
la vengeance bien cruelle.
D'abord,
en y réfléchissant, Lucien l'âne mon ami, avant d'aller plus loin
dans cette histoire de vengeance, il est important de se souvenir de
ce dont il s'agissait. On était en guerre et quelle guerre !
Quel épisode effroyable de la Guerre de Cent Mille Ans où une bête
immonde était sortie tout droit des prairies du diable... Elle avait
fui son enclos et courait en liberté faisant les plus grands
ravages. Une bête folle et enragée, fille d'un nationalisme
développé, qui comme tout nationalisme tend à déborder de la
marmite où il bout. C'est quelque chose comme une loi de la
physiologie des grands groupes humains. Il s'agit de toujours s'en
méfier, car même le nationalisme le plus bénin (en apparence)
contient en germe ce qui se passa en ces temps-là. Ceci du fait-même
de son penchant fâcheux à l'exclusivité. Et si la vengeance fut
terrible, elle avait une autre dimension que de satisfaire à une
sorte de réparation pour un tort commis – ce qui est le fondement
de la « Loi du Talion », laquelle d'ailleurs généralement
s'applique aux personnes. Ici, le feu du ciel, s'il répondait au feu
du ciel, avait surtout comme ambition de mettre fin à
l'existence-même de la bête enragée. Il s'agissait en quelque
sorte de la mettre hors d'état de nuire. Et cela a partiellement
réussi.
Mais
partiellement seulement, dit Lucien l'âne bien pensif, car on n'a
pas pris la peine ou peut-être n'a-t-on pas voulu se débarrasser
vraiment de cette peste, d'en faire disparaître à jamais le
fondement. On n'a même pas mis hors d'état de nuire bien des
tenants de cette démarche bancale de l'esprit qu'est le
nationalisme. Nous les ânes, nous avons depuis très longtemps (et
peut-être ne fût-ce jamais le cas, peut-être n'avons-nous jamais
tâté de cette liqueur vénéneuse) compris tout le danger de l'idée
nationale sous quelque forme qu'elle s'est présentée à nous –
Noi, non siamo cristiani, siamo somari... Mais enfin, la canzone...
Oui,
en effet, les ânes ne sont pas nationalistes ; c'est une
magnifique qualité. Bon, la canzone maintenant... Comme
précédemment, c'est un de ces anciens correspondants de guerre de
Signal ou d'Adler qui relate l'histoire et qui – et c'est là ce
qui doit aussi retenir l'attention – réfléchit à ce qui s'est
passé. Bien sûr, Lucien l'âne mon ami, on aurait pu attendre que
le malheur passe et laisser la bête accomplir ses ravages –
laisser des peuples entiers mourir dans des camps, attendre que la
raison revienne aux hommes... Mais à quel prix ? Bon sang de
bonsoir, on aurait pu... Mais aurait-on décemment pu laisser faire ?
Laisser faire et attendre dans la sérénité la fin... La fin de
qui ? La fin de quoi ?
Pour
moi, dit Lucien l'âne se dressant de toute sa taille, il n'y avait
pas à tortiller. À cela, sans aucune hésitation à jamais, il
convient de toujours résister . Ora e sempre : Resistenza !
Et l'on ne saurait laisser pulluler l'engeance. Et si la folie avait
engendré une autre folie antidote, cette dernière avait au moins le
mobile de mettre fin au délire collectif. Cela dit, Marco Valdo M.I.
mon ami, je suis persuadé que nous n'avons d'autre choix que de
tisser maintenant et toujours le linceul de ce vieux monde
belliqueux, exploiteur, hautement criminel et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Pour
un œil les deux yeux
Pour
une dent toute la gueule !
Ah,
Lady Godiva, par tous les Dieux
Votre
vengeance est bien cruelle !
On
avait encerclé Stalingrad, écrasé la Pologne
On
faisait du tourisme dans le Caucase
On
allait en vacances en France
Mais
moi, Lady, j'étais de Cologne
J'avais
un rendez-vous
Mais
pas avec vous, voyez-vous, pas avec vous
Le
dentiste a disparu dans les fumées
Et
ma dent, alors, fut abandonnée
Et
du pont de Deutz et de Köln rampante
Il
ne reste qu'une cathédrale fumante
Comme
chez vous, Lady, à Coventry
À
Coventry, chez vous, Lady,
On
avait envoyé cinq cents avions, cinq fois cent
Vous
nous en renvoyiez mille, dix fois cent.
Pour
un œil les deux yeux
Pour
une dent toute la gueule !
Ah,
Lady Godiva, par tous les Dieux
Votre
vengeance est bien cruelle !
C'était
une nuit comme des millions d'autres nuits
Une
nuit de lune pleine, une nuit remplie de fureur et de bruits
Une
pluie de bombes sur la ville lui brisait les reins
Et
l'orage frappait les faubourgs de l'autre côté du Rhin.
J'aidais
les deux vieilles à éteindre leurs rideaux et leur literie
Impossible
à raconter les cadavres calcinés, toute cette tuerie
Lübeck,
Darmstadt, Wurtzbourg, Nuremberg, Hambourg, Berlin
Le
ciel tombait sur les têtes du soir au matin
C'est
vrai, on avait commencé Guernica, Londres, Rotterdam, Varsovie
Nous
avions ouvert les vannes aux détresses infinies
Comme
chez vous, Lady, à Coventry
À
Coventry, chez vous, Lady,
On
avait envoyé cinq cents avions, cinq fois cent
Vous
nous en renvoyiez cent mille, mille fois cent.
Pour
un œil les deux yeux
Pour
une dent toute la gueule !
Ah,
Lady Godiva, par tous les Dieux
Votre
vengeance est bien cruelle !
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