1936
- Les Jeux Olympiques de Sachsenhausen près de Berlin
Canzone
française – Les Jeux Olympiques de Sachsenhausen près de Berlin–
Marco Valdo M.I. – 2011
Histoires
d'Allemagne 37
An
de Grass : 36
Au
travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein
Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 –
l'édition
française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses
traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Salut au stade olympique.
À cent mille bras tendu pour saluer le grand aryen.
À Sachsenhausen près de Berlin.
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Dis-moi,
Lucien l'âne mon ami, aimes-tu les grandes compétitions, les
rassemblements de foule, les affrontements dans les stades et toutes
ces sortes de choses ? Car si tu aimes l'agonisme, elle te ravira
notre chanson qui raconte à sa manière les Jeux Olympiques de
Berlin en 1936.
Allons,
allons, mon ami Marco Valdo M.I., tu galèjes... Tu sais aussi bien
que moi que nous, les ânes, nous sommes des animaux fort peu
compétitifs. À vrai dire, on déteste çà. D'abord, l'idée-même
de compétition me donne la nausée tant elle me paraît absurde et
peu respectueuse des autres, des plus faibles, des moins bien
pourvus... Elle est destructrice. Ensuite, la masse, la foule, le
rassemblement renforcent encore cet effet dévastateur. Et puis, de
façon générale, je suis un âne et un honnête solipède qui –
comme la plupart des ânes - vit en solitaire. Je me sens bien avec
moi-même et s'il échet, je ne déteste pas une petite compagnie,
mais pas plus.
En
somme, Lucien l'âne mon ami, je te reconnais bien là. Tu serais
plutôt du genre à préférer une tranquille solitude à
l'exaltation collective. Est-ce que par hasard, tu n'aurais pas la
même devise que notre Tonton Georges Brassens : « Bande à part,
sacrebleu ! c'est ma règle et j'y tiens. » ?
Certes,
certes... Mais, notre Tonton Georges ajoutait, avec raison, quelque
chose qui te concerne plus que moi : « Le pluriel ne vaut rien à
l'homme... ». Mais encore une fois, tout dépend de ce qu'on veut
faire... Solipède, solitaire, oui, mais toujours solidaire... Quand
c'est nécessaire. Cela dit, par exemple, si se rassembler à cent
mille, là sur le champ, dans certaines circonstances, me paraît
utile... Se rassembler à cent mille pour penser, là sur le champ,
me paraît carrément imbécile. Mais si tu veux bien, reviens aux
Jeux de Berlin près de Sachsenhausen.
Notre
chanson se déroule en 1936. C'est l'année de l'apothéose d'Adolf,
où le monde entier a les yeux braqués sur lui lors de
l'inauguration des Jeux Olympiques de Berlin. Une apothéose offerte
sur un plat d'or (comme ce sera plus tard le cas pour un championnat
de foot à l'Argentine des militaires) à cet émérite pacifiste.
Mais
enfin, si tu regardes bien, ces Jeux Olympiques furent une somptueuse
prescience, une sorte de lumineux prélude à l'affrontement général
des nations qui les suivra de peu, une sorte de répétition
générale, de mise en train, de préparation – un peu comme dans
une rixe, des adversaires s'encouragent de la voix, se stimulent
avant d'en venir vraiment aux mains. Pour dire les choses autrement,
on chauffait la colle.
Çà
me rappelle les discours de Cassandre... Oui, mais la chanson dans
tout çà, participe-t-elle à cette grand messe ?
Mais
pas du tout... Elle s'intitule d'ailleurs « Les Jeux Olympiques de
Sachsenhausen » et elle commence par rappeler le sort des Tziganes.
En vue des Jeux Olympiques, on les avait tous raflés et parqués
dans des camps. Un camp spécial, que comble de sadisme, on fera
construire par les prisonniers eux-mêmes, leur sera dédié à
Marsahn – toujours près de Berlin. Tu remarqueras qu'on commence
souvent par s'en prendre aux Roms, aux Gitans et aux Tziganes, car ce
sont les plus faibles... Les autres suivent ou suivront. Et on vient
de voir de pareils comportements actuellement en Europe, qui – par
ailleurs – se dit soucieuse des droits de l'homme... Et, à
l'encontre des Roms, Tziganes, Gitans, Gens du voyage... certains
pays sont plus énergiques que d'autres... et certains groupes bien
plus vindicatifs.
Et
pour la suite, dit Lucien l'âne... Je veux savoir la suite de la
chanson...
La
suite, elle, raconte les Jeux Olympiques à Sachsenhausen. Pareil
qu'à Marsahn pour les Tziganes... On y meurt tout autant. Mais ce
sont les « ennemis du peuple », les « rouges », les socialistes,
les syndicalistes, les communistes, les anarchistes... Là aussi, ces
« tourbiers » durent construire leur camp, un peu, comme on fait
creuser sa tombe à un homme qu'on va assassiner. Ils sont appelés
les « tourbiers », car ce sont des anciens d'Esterwegen, un autre
camp où ils extrayaient la tourbe... Mais le régime a décidé de
confier cette tâche « nationale », folkloriquement « nationale »
à des chômeurs en mal de travail et peu enclins à contester le
national-socialisme d'Adolf et Compagnie. Les « tourbiers » à
Sachsenhausen et les chômeurs au camp de travail d'Esterwegen: d'une
pierre deux coups et en avant la musique.
Décidément,
dit Lucien l'âne en brontolant, je sais ce mot n'existait pas encore
en français, mais maintenant, il y est. Il vient de l'italien «
brontolare » qui signifie évidemment « brontoler », « émettre
un bruit comme un grognement, un ronflement, un vrombissement ou le
tout en même temps ». Donc, en brontolant Lucien l'âne dit, ce
monde des humains est décidément bien étrange et d'une barbarie
raffinée. Aussi, moi, je persiste à vouloir rester un âne et tout
autant à vouloir, avec ton aide et celle de tous ceux qui voudront,
je persiste à tisser le linceul de ce vieux monde acéphale,
attristant, atterrant et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
C'était
l'année des Jeux Olympiques
Chez
nous, à Berlin, près de Marzahn
Alors,
ils inventèrent le fléau tzigane
Les
races inférieures et toute cette politique.
Sans
bruit, ils raflèrent tous les Tziganes
Pour
construire des Zigeunerlagers et en avant la musique
Ils
reprirent la Rhénanie sur un air de guerre.
Et
à tous, ils imposèrent l'adhésion aux lubies de Hitler
À
la veille des Jeux olympiques
Nous,
socialo-communistes, anarchistes, politiques
Triangles
rouges au camp du chant des marais,
Les
vrais tourbiers de la nation germanique
Les
ennemis du peuple, comme il disait
Nous
les internés du camp d'Esterwegen,
Optimistes
– en avant la musique, nous on espérait.
On
eut les Jeux olympiques de Sachsenhausen
À
Sachsenhausen près de Berlin
Sur
trente hectares pas un de moins
En
guise de compétition, de nos mains
Nous
les tourbiers de la nation,
On
construisait notre camp de concentration.
En
guise de compétition, de nos mains
Sur
trente hectares, pas un de moins
À
Sachsenhausen près de Berlin.
À
Berlin près de Sachsenhausen, sans façon
Aux
portes de notre camp de concentration
S'affrontaient
pacifiquement d'autres champions
Devant
les touristes venus de toutes les nations
À
cent mille pour voir défiler les jeunesses hitlériennes
À
cent mille pour écouter la marche wagnérienne
À
cent mille bras tendu pour saluer le grand aryen.
À
Sachsenhausen près de Berlin.
À
la fin des Jeux olympiques
Nous,
socialo-communistes, anarchistes, politiques
Triangles
rouges au camp du chant des marais,
Les
vrais tourbiers de la nation
Les
ennemis du peuple, comme il disait
On
construisit notre camp de concentration
Après
les Jeux olympiques de Berlin
On
est resté à Sachsenhausen près de Berlin.
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