1946
– Les Briques rouges de Berlin
Canzone
française – Les Briques rouges de Berlin – Marco Valdo M.I. –
2011
Histoires
d'Allemagne 47
An
de Grass : 46
Au
travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein
Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 –
l'édition
française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses
traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
La poussière de briques dans nos seaux
Du rouge partout dans la ville, dans les rues
Dans l'air, sous la chemise, sur la peau, dans la peau
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Nous voici en 1946 à Berlin. La guerre est finie... Pour les Berlinois – et tu verras dans la chanson qu'il s'agit surtout des Berlinoises ou du moins des femmes qui résident à Berlin et dans les environs, la fin de la guerre débouche sur une étrange paix, sur monde d'apocalypse, sur un univers plat et poussiéreux. Un univers rouge, rouge et très exactement rouge brique. Ici, c'est une femme qui parle... Elle soliloque auprès de son homme, égaré dans ses songeries infinies. Elle raconte le terrible destin des femmes après la capitulation, des femmes qui doivent tenir compte des exigences des vainqueurs – avec tout ce que cela comporte depuis la nuit des temps, des femmes qui doivent continuer à assurer le quotidien, par le travail et d'autres moyens, des femmes qui voient revenir – quand ils reviennent – les hommes et pour une part, détruits par ce qu'ils ont vu ou fait à la guerre, incapables de se remettre à la vie civile, errant dans un paysage mental de désolation intense. Pratiquement, ce sont des zombies. Alors, les femmes s'acharnent à remettre la ville sur pied.
Ce fut un temps déraisonnable... Ce devait être effroyable de se traîner dans ce champ de misères, dit Lucien l'âne comme abasourdi. Mais ce devait être le cas de bien des villes en Europe...
Et ailleurs aussi, comme tu le sais. Mais Berlin, c'était un peu spécial. D'abord, c'était la capitale du Reich défunt. Tous les « alliés » voulaient y être présents... C'en fit une ville écartelée. Et puis, Berlin est une ville à la morphologie particulière... C'est une ville construite sur d'anciens marais, une ville plate, dont les seuls reliefs étaient ses bâtiments, quasiment tous rasés par les bombes et les obus. Berlin, où il n'y a pas de pierre, était construite en briques... Qui vont lui donner cette couleur du sang, qui vont l'écraser, l'étouffer d'une poussière rouge. La paix, ce fut donc, d'abord et avant tout un immense nettoyage : ramasser les décombres, abattre les pans de murs et les immeubles en péril, récupérer les briques encore valables, évacuer les gravats et les cadavres qui s'y tenaient ...
Beau programme, dit Lucien l'âne. Mais, cette fois, je n'y étais pas.
Je sais. Comme je te l'ai dit, mon ami Lucien l'âne, ce sont des femmes qui vont jouer les bêtes de somme. Des dizaines de milliers de femmes, pour un salaire dérisoire, mais nécessaire, vont brique par brique, toutes rouges, seau de poussière et de décombres par seau de décombres et de poussière rouges, nettoyer la ville et tout doucement la remettre en route. C'est cette aventure, cet épisode de la Guerre de Cent Mille Ans, que raconte une d'entre elles, dont on sait seulement, car elle le dit, qu'elle a une fille Lotte, laquelle a un enfant tout jeune, un bébé... nommé Félix – un prénom porte-bonheur. Quelle ironie ! Félix mourra de tuberculose (sans doute la poussière rouge des briques) l'année suivante. En attendant, il est dans la poussette avec le nounours récupéré sous les gravats...
En somme, Berlin a une fameuse gueule de bois après les délires de l'ivresse des victoires... Et ce sont les femmes qui la soignent. Au stade où tu en es dans tes histoires d'Allemagne, à cette image de lendemains de la veille, il me vient plus encore l'envie de vouloir changer le monde et de mettre fin à ces délires de puissance, de gloire et de richesses. Crois-moi, mon ami Marco Valdo M.I., il faut tisser le linceul de ce vieux monde perclus d'ambitions, rongé par la poussière, empoisonné par l'avidité et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
Finalement,
ils avaient tout détruit
Berlin,
notre Berlin, était à plat
Les
hommes s'étaient enfouis
Même
le Tambour était tout froid
Il
restait les ruines, les briques, les gravats.
Les
femmes, Lotte, ma fille et moi
Cinquante
mille bourriques
On
tournait en briques
Nous
les femmes, on était restées ici
À
tout regarder, à tout subir aussi
On
payait de notre personne les vainqueurs
Fallait
bien qu'on vive, mon cœur
La
poussière de briques dans nos seaux
Du
rouge partout dans la ville, dans les rues
Dans
l'air, sous la chemise, sur la peau, dans la peau
Mais
quand même, c'était la paix, une drôle de mue
Les
petits chemins dans les décombres
Et
un travail de bêtes dans l'ombre
Une
carte de travailleur de force, soixante pfennigs à l'heure
Trois
cents grammes de pain et un peu de faux beurre
Lotte,
ma fille et moi, une équipe d'enfer
Avec
la poussette, le nounours et Félix qui pleurait
Plus
de maris, ou si peu ; les hommes gémissaient
Épaves
du fauteuil au lit – sans rien faire.
Qu'ont-ils
vu là-bas sur tous les fronts ?
L'horreur
se lisait encore en eux;
Elle
parcourait leurs songes à nos vieux.
Dans
leurs yeux grand ouverts sur le plafond.
Les
filles des bombardements, Lotte et moi, sa mère,
On
a trouvé un homme au bout d'un pied
Il
reposait dans son manteau de laine, tout entier
J'ai
pris le manteau et Lotte, l'harmonica Hohner
Finalement,
on a tout déblayé
On
a remis notre Berlin sur pied.
Lotte,
moi et cinquante mille bourriques
Rien
que des femmes charriant des briques.
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