1932
– N'importe quoi, mais quelque chose
Canzone
française – N'importe quoi, mais quelque chose – 1932 – Marco
Valdo M.I. – 2011
Histoires
d'Allemagne 33
An
de Grass : 32
Au
travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle »
(Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition
française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses
traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
C'est
vraiment « N'importe quoi... », le titre de ta chanson
d'Allemagne..., dit Lucien l'âne en se marrant et en sautant d'un
pied sur l'autre, à quatre temps.
Oui,
évidemment et je ne vois pas ce qui te fait tant marrer. D'ailleurs,
quand tu sauras de quoi il s'agit et ce que cela suppose, subodore,
implique, entend, sous-entend, prédit en quelque sorte, il n'y a
vraiment pas de quoi se réjouir. Déjà, si tu as un peu de mémoire,
tu te souviendras qu'à la précédente canzone d'Allemagne, on
entendait des fanfares et des bruits de pas. Tes grandes oreilles
d'âne avaient bien perçu le son fêlé du Blechtrommel
[[http://www.youtube.com/watch?v=PV-cRHZQo8E]], du tambour de
fer-blanc, les hurlements rauques et stochastiques de l'oncle
incarné. Adolf, de cent mille adulateurs annonçait un règne de
mille ans. Ses inférences, heureusement, l'égaraient...
N'empêche,
dit Lucien l'âne, il a démontré que l'horreur est humaine. C'est
donc cela ce n'importe quoi qui parsème ton récit.
Cela
et bien d'autres choses encore. Par exemple, ces millions de
chômeurs; par exemple, ces régions entières transformées par les
miracles de la terminologie officielle en poches de chômage...
pendant que – comme disait Léo Ferré – pendant que l'Europe
bavarde.
Attends,
attends, Marco Valdo M.I. mon ami, n'es-tu pas atteint de dyschronie,
cette maladie qui cafouille avec le temps, avec laquelle tu prends
une époque pour une autre, où la confusion règne tellement qu'on
finit par ne plus savoir quand se passent exactement les choses.
Bref, est-ce que tu ne bats pas la campagne ? Car, j'ai bien
l'impression que les années se mêlent dans ton esprit.
Allons,
allons, Lucien l'âne mon ami, ne t'inquiète pas ainsi. Bien sûr,
on est en 1932; bien sûr, on est à Remscheid dans la Ruhr, et c'est
bien de cela que parle la canzone ou plutôt, le narrateur de la
canzone. Mais il parle de maintenant, je veux dire d'un endroit dans
le temps qui est notre contemporain, disons, si tu le veux bien, au
début de ce millénaire. Et il se souvient de son enfance, dans ce
quartier de Remscheid rongé par la rouille et la misère. Qui est ce
narrateur, peu importe. Il est celui-là qui raconte et qui fait les
comptes avec le temps passé. Et il compare ce qui était hier
l'Allemagne, la grande Allemagne en gestation et aujourd'hui,
l'Europe, la grande Europe en gestation... Et ce qu'il entrevoit,
c'est que ce qui était hier est encore aujourd'hui. Simplement, le
terrain s'est agrandi, le nombre de participants a été multiplié,
mais globalement, la situation est semblable, sinon pire... Et
crois-moi, il a raison :
« Aujourd'hui,
des choses pareilles peuvent à nouveau arriver
À
part les millions de chômeurs, on a tous un boulot – mal payé
On
regarde à la dépense, on mange quand on peut
Chez
nous, comme partout, les riches, vivent de mieux en mieux
Il
faut qu'il se passe quelque chose
N'importe
quoi, mais quelque chose. »
Je
le pense aussi. Il faut qu'il se passe quelque chose, il nous faut
résister (Ora e sempre : Resistenza !), il faut mettre fin à ce
monde imbécile avant qu'il ne soit trop tard et que ne reviennent
hanter nos jours et nos nuits les hurlements rauques et stochastiques
de l'oncle incarné... Car, vois-tu, lui aussi a des descendants, eux
aussi ont des ambitions pour l'Europe. D'ailleurs, ils recommencent à
se promener en chemises de couleur...
Et
nous, Marco Valdo M.I. mon ami, du haut de nos grands âges, il nous
faut – c'est impératif – il nous faut tisser le linceul de ce
vieux monde richissime, méprisant, ignoble et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
À
Remscheid, chez nous, en trente-deux, on chômait
En
trente-deux, dans le quartier, quasi tout le monde pointait.
Chez
nous, à Remscheid, il y en avait tant des chômeurs,
Comme
dans toute l'Allemagne, des millions de chômeurs.
Il
fallait qu'il se passe quelque chose
N'importe
quoi, mais quelque chose
Des
élections, encore des élections, à répétition
Lois,
décrets, ordonnances, décisions à répétition
Rien
n'a changé, monde à répétition
Bourse,
profit, honte, chômage, exploitation
Il
fallait qu'il se passe quelque chose
N'importe
quoi, mais quelque chose
À
Remscheid, chez nous, en trente-deux, on chômait
En
trente-deux, dans le quartier, tout le monde pointait.
Fallait
pas qu'ils restent à rien faire au chômage
Alors,
on les obligea à travailler au barrage.
Il
fallait qu'ils fassent quelque chose
N'importe
quoi, mais quelque chose.
Du
printemps à l'hiver, dans le chaud, dans le froid
Avec
la honte pour compagne et l'effroi
Le
« travailleur sans emploi », l'ex-travailleur
En
trente-deux, à Remscheid, était encore chômeur.
Il
fallait qu'on fasse quelque chose
N'importe
quoi, mais quelque chose
Chez
nous, on regardait à la dépense, on mangeait peu
Des
patates et fallait pas tomber malade, en trente-deux,
Tampon
sur les cartes, tout le quartier vivait ainsi, au ralenti,
Tous
en avaient ras le bol de faire la queue sous la pluie.
Il
fallait qu'on refasse quelque chose
N'importe
quoi, mais quelque chose.
Trois
hivers déjà que chaque jour il pointait
La
nuit, dans la chambre, papa pleurait
Maman
disait : « Ça ne peut pas être pire ! »
À
Remscheid, en trente-deux, elle le disait sans rire.
Il
fallait qu'il se passe quelque chose
N'importe
quoi, mais quelque chose.
Aujourd'hui,
des choses pareilles peuvent à nouveau arriver
À
part les millions de chômeurs, on a tous un boulot – mal payé
On
regarde à la dépense, on mange quand on peut
Chez
nous, comme partout, les riches, vivent de mieux en mieux
Il
faut qu'il se passe quelque chose
N'importe
quoi, mais quelque chose.
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