1933
– Le
Maître et Martha
Canzone
française – Le Maître et Martha – 1933 – Marco Valdo M.I. –
2011
Histoires
d'Allemagne 34
An
de Grass : 33
Au
travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle »
(Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition
française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses
traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
AUTOPORTRAIT DU MAÎTRE
MAX LIEBERMANN
Décidément,
Marco Valdo M.I. mon ami, les titres de tes canzones sont bien
souvent surprenants ou alors, comme ici, semblent évoquer quelque
chose, renvoyer à une autre histoire... ici, à une histoire
faustienne, en quelque sorte, à une histoire née dans un autre
monde... N'a-t-il pas un rapport ce titre avec celui du roman de
Mikhaïl Afanassievitch Boulgakov,
lequel était de Kiev, si je ne me trompe ..?
En
effet, il s'agit bien d'évoquer ici ce titre du roman
de Boulgakov – Le Maître et Marguerite – et tout ce qui tourne
autour... le mystère, le mal terrifiant qu'on sent derrière
l'histoire de Marguerite... mais quand même, c'est un renvoi à
l'histoire, allemande celle-là, de Faust et à tout ce qu'elle
porte. Une dernière chose ... Regarde le jour où nous publions
cette histoire... C'est le jour du bal de Marguerite... En somme,
c'est l'histoire d'un pacte avec le diable et que va donc faire
d'autre l'Allemagne ? Ou une grande partie de la population
allemande de l'époque ? La canzone, cette petite Histoire
d'Allemagne raconte très exactement une journée particulière
(c'eût pu être aussi son titre... mais il était déjà pris pour
un autre jour mémorable où en 1938, le Menton rencontra à Rome la
Moustache) à Berlin. Nous sommes au début de 1933, juste au soir du
30 janvier 1933. Le 30 janvier 1933 vers midi, Adolf Hitler est nommé
Chancelier... Le soir même, des milliers de ses partisans – en
fait, des membres des Sections d'Assaut – défilent aux flambeaux
sous les Tilleuls (Unter
den Linden),
devant le hurleur moustachu et terminent leur parade en passant la
Porte de Brandebourg. Pendant ce temps, un peintre, un vrai peintre,
un véritable peintre, fort âgé, un des grands impressionnistes
allemands, Max Liebermann, dit ici le Maître et sa femme, Martha –
du haut du toit de leur maison de la Pariser Platz regardent avec
effroi cette délirante manifestation. Cent mille excités, emplis de
haine, avides de pouvoir et de puissance, passent en chantant sous
leurs fenêtres. Juste un détail cependant ... Max Liebermann est de
confession juive...
En
ce temps-là, çà n'aidait pas, dit Lucien l'âne. Même si à ce
moment, ils (les baveux colériques) n'avaient pas encore trop
explicité leur grand dessein criminogène et proprement criminel.
Donc,
le défilé passe devant la maison Liebermann – une grande maison
de famille – sur la Pariser Platz, et du haut de son toit, le
Maître dit en berlinois la phrase suivante : ....« Ick
kann jar nich soville fressen, wie ick kotzen möchte »,
autrement : « Je ne pourrai jamais autant manger que je ne
peux vomir » ou de façon moins léchée : « Je
ne peux même pas bouffer autant que j'ai envie de dégueuler ».
Mais malgré ce dégoût, malgré les exhortations les plus
pressantes à partir en exil, le Maître et Martha ne partiront pas.
Le Maître mourra de vieillesse, à 88 ans, deux ans plus tard ;
Martha, quant à elle, Martha Mackwald, se suicidera en 1943 pour
éviter sa déportation à Buchenwald.
Comme
je les comprends, dit Lucien l'âne, ces vieux Allemands... À leur
manière, ils ont résisté à la fureur du peintre en bâtiment et
aux affres de la nausée brune et noire.
En
effet, et la résistance de Max Liebermann (Ora e sempre :
Resistenza ! À Berlin comme ailleurs) consista tout d'abord à
ne pas abandonner son poste de Président de l'Académie des
Beaux-Arts... Il expliquait cette position en disant : « Il
serait plus naturel de démissionner. Mais cela passerait, de la part
du Juif que je suis, pour de la lâcheté. » Ce vieil homme, ce
quasi-nonagénaire affirme ainsi face aux millions de nazillons qui
l'entourent, en plein Berlin, à la fois, son désaccord, son refus,
sa haine du racisme, sa judéité et son humanité.
Cela
demandait bien du courage et de la lucidité, dit Lucien l'âne, mais
je crois avoir entendu dire qu'il avait quand même finalement
démissionné...
Tu
ne te trompes pas, mais il l'a fait en réaction à un événement
particulier et particulièrement ignoble... Il ne pouvait rester dans
réagir face à la barbarie de l'autodafé du 10 mai 1933
[[http://www.ina.fr/fresques/jalons/fiche-media/InaEdu02012/autodafe-en-allemagne.html]].
Ce soir-là, même scène de délire collectif, même ignominie...
les SA et les étudiants nazis se déchaînent contre la pensée,
contre les artistes et les intellectuels... les éternels ennemis du
fascisme et ils font au cœur de Berlin un immense incendie de
livres. Et Max Liebermann, cette fois, démissionne... Il avait
tout-à-fait bien compris que lorsqu'on commence à brûler les
livres, on en vient bientôt à brûler les gens.
Ainsi
va la Guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres afin
de les contraindre à reconnaître comme normale l'exploitation, à
accepter la domination des puissants, à ne pas mettre en cause la
richesse elle-même, à participer au mythe de la société
commune... Crois-moi, Marco Valdo M.I. mon ami, faisons comme ce
vieil impressionniste, tissons de nos mains le linceul de ce vieux
monde incendiaire, assassin, médiocre et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
Le
Maître et Martha portaient de longs manteaux
Le
vent de Berlin disait une drôle de chanson
D'en
bas, par vagues, arrivaient les ovations
En
cadence, à la lueur fuligineuse des flambeaux
Qui
pourrissaient l'air et l'atmosphère
Dans
le sérieux des visages coupés à la jugulaire.
Par
six de rang, ils remontaient l'allée de la Victoire
Au
pas de l'oie, vers d'autres victoires
En
levant haut la jambe, en levant haut le genou
Marquer
le pas, surtout pas d'arrêt
Marcher
sur place, surtout pas d'arrêt,
En
levant haut la jambe, en levant haut le genou
Face
au désastre, le vieil homme tenait la main de Martha
On
était fin janvier mil neuf cent trente-trois
« À
présent, le peintre en bâtiment va être artiste peintre... »
Le
Maître dorénavant refuserait d'encor peindre
Le
Maître et Martha supputaient l'avenir
Il
est temps de filer, il est temps de partir
Le
Maître et Martha supputaient l'avenir
Il
est temps de filer, il est temps de partir
Les
colonnes brunes tissaient l'effroyable toile
Plus
de cent mille fourmillaient autour de la Grande Étoile.
Comme
avant eux, les vainqueurs de Sedan
Comme
avant eux, d'autres casques à pointe conquérants
Comme
avant eux, les marins révolutionnaires venus de Kiel
Muets,
le Maître et Martha contemplaient tranquilles
La
Porte de Brandebourg, grise, renfrognée
Qui
ployait sous les Sieg Heil ! L'incantation mille fois répétée.
En
levant haut la jambe, en levant haut le genou
Marquer
le pas, surtout pas d'arrêt
Marcher
sur place, surtout pas d'arrêt,
En
levant haut la jambe, en levant haut le genou
On
était fin janvier mil neuf cent trente-trois
Le
Maître et Martha se tenaient sur le bord du toit
De
la terrasse de la Pariser Platz, on entendait les chants
Les
acclamations, le nouveau Chancelier des Allemands
« Jamais
je ne pourrai manger autant que j'ai envie de dégueuler »
Disait
le vieux Liebermann sans même sourire.
« Jamais
je ne pourrai manger autant que j'ai envie de dégueuler »
Disait
le vieux Liebermann sans même sourire.
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